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Du gain et des jeux

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A Lausanne en 1988, à Berne en 2002, puis deux fois de suite à Saint-Moritz, les citoyens ont manifesté clairement leur opposition à une candidature pour les Jeux olympiques d’hiver. Qu’à cela ne tienne: des promoteurs remettent ça! C’est plus que de la persévérance: de l’obstination, voire de l’obsession compulsive! A l’origine de tels projets, il n’y a jamais le peuple, mais une coterie de chefs d’entreprises et autres constructeurs qui se plait à présenter son initiative comme un joyeux coup de folie, une toquade, un «top-là» entre entrepreneurs, comme le disait l’autre jour Bernard Rüeger, le président de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie, sur le plateau d’Infrarouge. Ces gens font semblant de vous bricoler des JO d’un simple claquement de doigts, alors que déjà le dossier de candidature engloutit à lui tout seul plus de vingt millions de francs.

Le même M. Rüeger fut aussi le fer de lance de la campagne en faveur de la réforme de la fiscalité des entreprises (RIE III). Quelques jours après la votation fédérale, malgré la mémorable déculottée qu’il a encaissée, le voilà tout sourire sur nos petits écrans pour nous vendre la candidature valdo-valaisanne: «Il faut sortir du clivage politique», nous exhorte-t-il: «Ici on ne se bat pas pour ou contre la RIE III, mais pour du rêve!». Ben voyons!… Un rêve qui se chiffre en milliards, ceux-là mêmes que Monsieur Rüeger, également membre de la direction d’Economie suisse, aurait fait perdre à la Confédération et aux cantons si par malheur le peuple avait suivi ses recommandations de vote! Faudra-t-il maintenant les gaspiller pour pouvoir clamer à la face du monde que nous sommes les meilleurs? L’appel incantatoire à l’enthousiasme olympique, au culte de la performance et à la ferveur patriotique cache de moins avouables attentes. Lorsque Christian Constantin est à la manœuvre, il est permis de se méfier. En tout cas, s’il y a du gain dans les Jeux, il n’est pas pour nos fichus nez! Selon ce que rapportent des économistes éminents, les méga-événements sportifs de ce type sont bénéfiques aux secteurs de l’économie qui profitent le plus de la libéralisation et de l’extension des marchés. Ils remplissent les poches des constructeurs et du CIO. Les participants, eux, sont enrichis de leur expérience, ce qu’en termes distingués les organisateurs appellent la «rentabilité sociale des Jeux». C’est tout.

Difficile, pourtant, d’opposer des arguments à ces beaux parleurs. On dirait que le sport ne tolère aucune pensée dissonante. On peut mettre sous leurs yeux les ravages des JO («Rio, ruine olympique» titrait 24 Heures le 22 février), la réponse fuse, répétitive comme un mantra: cela n’a rien à voir! Sion 2026 sera une fête modeste, rafraîchissante, conviviale. Ces jeux seront les plus simples et les plus écologiques qu’on ait jamais vus sur terre depuis la nuit des temps! Avec un aplomb déconcertant, les promoteurs annoncent «un projet de rupture», l’avènement d’un olympisme vert, sous les auspices d’un CIO revenu de sa légendaire démesure. Comme si les organisateurs des précédents jeux n’avaient pas tous affiché la même prétention. Avant de déchanter.

L’expansion et la croissance sont l’ADN de l’olympisme, sa devise. Toujours plus d’épreuves et de compétiteurs nécessitent toujours plus d’équipements. Mais les promoteurs persistent à affirmer le contraire. «Pas d’installations à construire: nous avons déjà tout», martèle Christian Constantin. Il faudra tout de même que ces Messieurs nous expliquent comment ils pensent conjuguer des objectifs aussi antagonistes que le dénuement du projet avec sa rentabilité, sa simplicité avec son rôle de «catalyseur de l’industrie touristique», la faiblesse des investissements avec la «dynamisation de l’économie». A cet égard, deux ou trois petites nouvelles passées presque inaperçues font figure d’avertissement. Elles ne concernent pour le moment que les JO de la jeunesse, les «inoffensifs» petits jeux dont Lausanne a obtenu l’organisation: juillet 2016, la commune d’Ormont-Dessus annonce un crédit pour des aménagements: il s’agit de créer une aire d’arrivée et d’élargir une piste, «ce qui nécessite d’importants déboisements». En janvier 2017, c’est Morges qui rit jaune à cause de sa patinoire, à laquelle la fédération de curling trouve des défauts rédhibitoires: pour y remédier, «un devis à six chiffres est avancé». Prémonitoire?

Que les athlètes et leurs supporters se laissent instrumentaliser par des entrepreneurs patelins qui, sur ce coup, flirtent dangereusement avec un monde de concurrence brutale, de tricherie et de corruption, me peine infiniment. Je veux croire que leur amour du sport est si désintéressé et généreux qu’il n’a pas besoin des Jeux olympiques pour s’épanouir.

Anne-Catherine Menétrey-Savary est ancienne conseillère nationale.

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lundi 8 janvier 2018

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