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Dubliner Dublin

Chroniques de résistance

Dublin est certes la capitale de l’Irlande, mais c’est aussi la ville où a été signée en juin 1990 la première convention européenne déterminant quel était l’Etat responsable du traitement d’une demande d’asile déposée par un réfugié présumé. Depuis lors, la convention est devenue un règlement, le n°II en 2003 et le n°III en 2013, toujours en vigueur actuellement. Mais Dublin est aussi devenu un nom cauchemardesque pour les réfugiés en quête d’un accueil et d’une protection en Europe.

En effet, l’idée centrale de la réglementation Dublin est, pour les gouvernements, d’éviter le dépôt de demandes d’asile multiples dans plusieurs pays successifs, une pratique envisageable par des exilés désespérés afin de tenter leur chance dans cette sordide loterie qu’est devenue la recherche d’un asile. La réglementation Dublin était donc dès le départ l’expression d’une suspicion des Etats à l’encontre des damnés de la terre considérés comme de possibles fraudeurs: il fallait «bloquer la souris dans son trou» et peu importe si les procédures nationales de reconnaissance de la qualité de réfugié étaient (et sont toujours!) totalement disparates. On a pu entendre à l’époque des élus et des ministres déclarer sans vergogne que la convention Dublin mettait fin au «tourisme de l’asile»…

Cette vision cynique n’a fait que s’amplifier avec les moutures successives de la réglementation Dublin pour devenir une lâcheté hypocrite, vile et écœurante des divers gouvernements européens depuis 2014, quand un nombre plus important de personnes fuyant guerres, répressions, persécutions et misère endémique ont abordé les rivages européens. Brandissant le texte de Dublin III, ces gouvernements ont renvoyé des milliers de gens vers les pays frontières de l’Europe – Espagne, Chypre, Malte, puis l’Italie et la Grèce. Alors que ceux-ci, du fait de leur position géographique, croulent sous l’arrivée de dizaines de milliers de réfugiés nullement répartis équitablement entre les divers Etats européens, ils sont encore surchargés par les réfugiés refoulés par les autres Etats!

La Suisse a adhéré au système Dublin en 2004 et y a vu immédiatement son «profit»: étant une île terrestre, elle peut toujours multiplier les décisions de non-entrée en matière «Dublin» du fait que les demandeurs d’asile ont forcément transité par un autre pays européen avant d’arriver en Helvétie… à moins de passer les Alpes en tapis volant! Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) ne se prive donc pas de faire usage de cette bien commode manière de se défausser sur les pays du sud de l’Europe. Un récent rapport d’Amnesty international du 3 novembre 2016 établissait ainsi que, sur 2436 personnes renvoyées en Italie depuis la zone Dublin en 2015, 1196 l’avaient été par la Suisse.

Or, le règlement Dublin III ne crée pas d’obligations pour les Etats signataires. Ils gardent la faculté pleine et entière d’enregistrer et de traiter une demande d’asile, indépendamment du pays d’entrée en Europe. C’est ce que l’Allemagne a fait en 2015 en accueillant plus de 800 000 réfugiés, principalement syriens.

Alors que plus de 10 000 personnes se sont noyées en Méditerranée depuis 2014, et que le monde n’a pas l’air de frémir devant cette tragédie évitable, il est plus que temps que les forces vives de la société clament un «basta» résolu et se battent pied à pied contre les gouvernements, le Suisse au premier chef, pour «dubliner» Dublin dans les poubelles des lois d’exception iniques et liberticides!
 

Le titre de cette chronique est un néologisme créé par les réfugiés et leurs défenseurs pour qualifier les renvois fondés sur la réglementation Dublin.

Opinions Chroniques Bruno Clément

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lundi 8 janvier 2018

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