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Le 2e pilier: un puits sans fond !

Fondé sur la capitalisation, le 2e pilier «s’avère de plus en plus un gouffre financier», selon Eric Decarro, qui revient sur le découvert de 1,45 milliard de francs de la caisse de pension de l’Etat de Genève (CEPG), mise à mal par la baisse du taux d’intérêt technique de référence au niveau suisse.
Genève

Le 3 octobre dernier, la Chambre suisse des actuaires a décidé d’abaisser le taux technique de 2,75% à 2,25%. Ce taux sert de base à l’expert pour évaluer les engagements de la caisse du personnel de l’Etat de Genève (CPEG). Résultat: du jour au lendemain, la CPEG affiche un découvert de 1,45 milliard de francs!

La fusion en 2013 des deux caisses publiques (CIA et CEH) s’est déjà traduite par une baisse de 12% des prestations, doublée d’une augmentation de 30% de la cotisation des actifs, étalée sur plusieurs années. L’Etat-employeur, quant à lui, a injecté 800 millions. Il s’agissait de répondre aux exigences de la loi fédérale de 2010 sur les caisses publiques qui impose d’atteindre un taux de capitalisation de 80% (+15% de réserves pour fluctuations conjoncturelles) à l’horizon 2052. C’est la droite parlementaire fédérale qui a imposé ce taux de 80%, alors que les experts estimaient un taux de 60% suffisant pour des caisses publiques, en principe pérennes.

Depuis la fusion, le comité de la CPEG s’est évertué à suivre le «chemin de croissance» défini par les experts pour atteindre le taux de capitalisation exigé. Or, à chaque fois qu’on baisse le taux technique, on décroche brutalement du «chemin de croissance». Les membres du comité de la CPEG ont ainsi beau s’appliquer, leurs efforts sont réduits à néant car les paramètres qui régissent le taux technique échappent totalement à leur contrôle. Les élus du personnel au comité CPEG sont dans une situation intenable: en cas de découvert, ils sont contraints, sous peine de poursuites pénales, de voter des mesures qui impactent fortement leurs collègues afin d’assurer en toute priorité l’équilibre financier de la caisse. On parle aujourd’hui d’une nouvelle réduction des prestations de 20%, doublée d’une injection supplémentaire de capital par l’Etat-employeur.

Où est le problème? Le 2e pilier fondé sur la capitalisation s’avère de plus en plus un gouffre financier. Les milieux dominants nous ont imposé ce système en 1972, contre l’initiative du Parti du travail pour de véritables retraites populaires; et ceci avec l’aide du Parti socialiste et des syndicats qui s’imaginaient qu’ils allaient cogérer l’économie suisse grâce à ce 2e pilier!

Les tenants des retraites par capitalisation affirmaient que l’accumulation de capitaux constituait une garantie pour les rentes. Cet argument est aujourd’hui réduit à néant. Ce 2e pilier représente désormais une ponction énorme et croissante sur les salaires, pour une rente qui se réduit comme peau de chagrin.

Cette accumulation de capitaux répond uniquement aux intérêts des milieux dominants. Les 800 milliards accumulés dans le 2e pilier, en principe l’argent des assurés, constituent une aubaine pour les banquiers, assureurs, investisseurs financiers, ou milieux immobiliers. Sans compter qu’une bonne partie de cet argent est placé sur les marchés financiers où il contribue à mettre la pression sur les emplois, les salaires et les conditions de travail dans le monde entier, pour le plus grand profit des actionnaires.

Avec ce 2e pilier, nous sommes aujourd’hui soumis aux crises financières, à la volatilité boursière, à la baisse du rendement du capital, aux politiques monétaires, aux conséquences de la spéculation monétaire (le franc fort et les intérêts négatifs sur les avoirs du 2e pilier, deux décisions imposées par les possédants), bref à tous les symptômes de ce capitalisme en crise.

On pourrait bien faire passer la CPEG de la «primauté des prestations» à la «primauté des cotisations», comme le préconise le député libéral-radical Cyril Aellen; cela impliquerait de recapitaliser la CPEG à 80% d’un seul coup. Résultat: brutale baisse des prestations pour les assurés, et une facture de 4 milliards pour l’Etat! Avec la primauté des cotisations, plus personne ne saurait sur quelle rente il/elle peut compter au moment de sa retraite: cela fluctuerait chaque année en fonction des rendements financiers.

En primauté de cotisation, les rentes 2e pilier sont attaquées à travers la baisse du taux de conversion du capital de l’assuré en rentes, et la baisse du taux d’intérêt minimal sur ses avoirs (1% sur le minimum LPP; 0% sur la partie surobligatoire). Toutes les caisses du secteur privé sont soumises à ce régime.

De plus, en cas de baisse du taux de capitalisation, le comité doit en toute priorité prendre des mesures au détriment des assurés (augmentation de la cotisation ou baisse des prestations).

Comme on voit: quelle que soit la solution qui sera retenue pour la CPEG, le problème de fond reste entier.

* Ancien président du Syndicat suisse des services publics.

Opinions Agora Eric Decarro Genève

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