Garder la lumière, tenir la digue!
Pour Philippe Ducommun, député vaudois UDC, «la mendicité au gobelet (des Roms) est un fléau» selon ses dires au Grand Conseil le 27 septembre dernier. Günther Oettinger, commissaire européen allemand en charge de l’économie numérique, a déclaré il y a deux semaines lors d’un dîner de gala d’une organisation patronale que «les Chinois étaient des bridés peignés de gauche à droite avec du cirage noir». Le 30 octobre, Eric Ciotti, président du Conseil départemental des Alpes Maritimes, s’est réjoui sur France Info «qu’il n’y a pas d’accueil de migrants de Calais à Nice et dans les Alpes Maritimes». Ce ne sont là que quelques mentions de paroles publiques prononcées par des élus et il y en a des dizaines de l’est à l’ouest de l’Europe!
Certes, la xénophobie ne date pas d’hier – que l’on se souvienne de James Schwarzenbach au tournant des années 1970 où les immigrés italiens, pour ne prendre que cet exemple, étaient déconsidérés d’emblée en étant appelés «Ritals». Mais la xénophobie populaire, faite d’ignorance, de peur, d’amertume et de rancœurs, n’aurait jamais été aussi forte et durable sans être nourrie et renforcée par la xénophobie d’Etat qui sous-tend toutes les politiques d’immigration en Suisse et ailleurs. Que l’on songe un instant à la politique helvétique dite des «trois cercles» où Berne triait les «bons» immigrés, les «moins bons» et les «pas bons du tout», sans parler du statut du saisonnier, un véritable apartheid en fait, ou de la théorie funeste de l’Ueberfremdung chère à Heinrich Rothmund, fondateur et directeur pendant plus de trente ans de la Police fédérale des étrangers!
Mais la xénophobie subit une grave dérive depuis des mois pour devenir du racisme à l’état «pur». Comme le dit le sociologue Eric Fassin, professeur de sciences politiques à l’université Paris-8, «ce qui monte, c’est le racisme officiel»1 value="1">Cf. Politis du 3 novembre 2016.. Et, en effet, les déclarations publiques d’élus et de ministres, sous prétexte de «briser les tabous sans complexe», sont lourdes de sens tant elles stigmatisent les «étrangers», en particulier s’ils sont musulmans. Ces déclarations, dont on sent les relents électoralistes, ne font que flatter le poil de «la bête immonde dont le ventre est encore fécond» en libérant et légitimant les pires propos que l’on a entendus au siècle dernier dans l’Europe glissant vers le fascisme et le nazisme.
Mais que l’on y prenne garde, derrière «l’étranger», il y a le pauvre, je veux dire le pauvre «d’ici», taxé quotidiennement de «fraudeur, menteur, profiteur», préférant «l’assistanat au labeur». C’est si bruyant et puant qu’ATD-Quart monde vient de créer un néologisme en parlant de «pauvrophobie». Comme le chantait en août 2000 Michel Bühler «Dire comme certains que celui qui est dans la misère, c’est au fond qu’il le veut bien, ça c’est vulgaire»! Il faut donc pour les tenants de l’ordre moral et les porte-paroles des «bien nourris» que ces pauvres – ceux de là-bas et ceux d’ici – disparaissent dans l’ombre et deviennent invisibles avant d’être poussés dans les décharges où ils rejoindront tous les déchets puisqu’ils en sont!
L’histoire l’a montré, la xénophobie, le racisme et la guerre contre les pauvres mènent à des sociétés totalitaires et au fascisme et c’est non seulement la liberté et la démocratie qui sont assassinées, mais la vie elle-même qui est saccagée!
En ce temps de l’Avent qui commence à la fin de ce mois, et sa signification symbolique, nous sommes d’autant plus appelés à garder la lumière de l’humanité contre les ténèbres brunes et à tenir la digue des droits fondamentaux, de l’ouverture, de la solidarité et de la tendresse contre les fanges nauséabondes de la haine de l’autre, de sa violence cruelle et aveugle et de la dictature qui s’en repaît!
Notes
* Animateur en éducation populaire.