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Un hommage est un acte politique

Joseph Daher revient sur ­l’hommage posthume du Conseil administratif à Elie Wiesel.
Ville de Genève

Le Conseil administratif de la ville de Genève, à l’initiative de Guillaume Barazzone, a rendu hommage à Elie Wiesel, Prix Nobel de la paix décédé début juillet1 value="1">Lire A. Zuber, «L’hommage à Elie Wiesel, malgré la controverse sur les colonies israéliennes», Le Courrier du 6 juillet 2016.. Nous pouvons rendre hommage à Elie Wiesel comme à tous ceux qui ont survécu aux camps de la mort nazis. Personne ne peut nier le traumatisme absolu laissé par cette expérience – à l’âge de 16 ans, Wiesel a vu disparaître toute sa famille – au risque d’oublier l’entreprise génocidaire de Hitler. Le livre d’Elie Wiesel La Nuit offre un regard poignant sur l’existence des Juifs déportés dans les camps d’Auschwitz et de Buchenwald.

Au-delà de cette distinction, il est toutefois regrettable que le Conseil administratif ait occulté le volet controversé du personnage en affichant la volonté de «ne pas entrer dans le débat politique». Un hommage à une personnalité politique est, de fait, un acte politique. Quand l’exécutif conclut qu’il gardera d’Elie Wiesel «l’image d’un homme d’exception, infatigable militant des droits humains, une conscience pour l’humanité», le souvenir est sélectif, ou amnésique, à l’instar d’autres hommages rendus à Elie Wiesel – par exemple, ceux de Bill Clinton, Donald Trump, Benjamin Netanyahu, George W. Bush…

Sur la question palestinienne, tout d’abord, Wiesel s’est illustré par la défense de l’Etat colonial, d’occupation et d’apartheid d’Israël: «Ma loyauté envers mon peuple, à notre peuple, et à Israël vient en premier et m’empêche de dire quoi que ce soit de critique envers Israël à l’extérieur d’Israël.» Et, face aux questions sur les crimes d’Israël contre les Palestiniens, il a dit: «Je dois m’identifier avec tout ce que fait Israël, même ses erreurs.» Nous ne pouvons pas parler d’«erreurs» pour évoquer plus de soixante ans de violations des droits de l’homme en Palestine.

En 2010, Elie Wiesel n’avait pas hésité à affirmer dans un article de l’International Herald Tribune (16.04.2010) que, «pour la première fois dans l’histoire, juifs, chrétiens et musulmans peuvent accomplir leurs rites religieux librement. Et, contrairement à certaines affirmations des médias, juifs, chrétiens et musulmans ONT (en capitales dans le texte) l’autorisation de construire leurs foyers n’importe où dans la ville.» Ce qui est très loin de la vérité, puisque chrétiens et musulmans sont interdits d’accès à leurs lieux saints, n’ont pas le droit de construire dans Jérusalem et que leurs maisons sont détruites. Elie Wiesel a également soutenu toutes les dernières guerres d’Israël contre la bande Gaza.

Mais sa sélectivité pour le respect des droits humains allait bien au delà de la question palestinienne. En tant que membre du conseil consultatif de l’US Holocauste Mémorial Museum en 1992, il a par exemple exercé des pressions contre la reconnaissance des victimes LGBT et Roms de l’Holocauste. Il n’a pas hésité non plus, le 25 octobre 2009, à tenir un discours devant 6000 chrétiens sionistes adeptes du pasteur John Hagee, connu pour ses propos homophobes, négationnistes et antisémites – rappelons qu’une partie des chrétiens sionistes sont antisémites –, en échange d’un chèque de 500 000 dollars pour sa fondation. Elie Wiesel a également soutenu l’invasion américano-britannique de l’Irak en 2003, et appuyé les appels du premier ministre Netanyahou à une guerre contre l’Iran.

L’hommage rendu mondialement à Elie Wiesel tranche d’ailleurs avec le silence d’autres survivants de l’Holocauste qui se sont engagés pour la cause palestinienne après leurs expériences dans les camps de la mort pour que ce genre de crime ne se répète plus.

Ainsi, quand Guillaume Barazzone répond qu’il ne veut pas rentrer dans le débat politique sur les contradictions d’Elie Wiesel, c’est de la simple mauvaise foi. Elie Wiesel était un survivant de l’Holocauste et pour cela mérite notre respect. Mais il n’était pas, comme le décrit le Conseil administratif, un combattant contre toutes les injustices. En laissant dans l’ombre ces contradictions, le Conseil administratif porte une responsabilité politique.

Notes[+]

* Universitaire et militant de Solidarités.

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