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Le destin du Proche-Orient se joue (aussi) à Opelika

La question des rapports avec Israël ne cesse de resurgir lors des primaires républicaines, y compris lorsque le scrutin se déroule dans un Etat du Sud où le nombre d’électeurs juifs est infime.
États-Unis

Longtemps, le rituel n’avait concerné que des primaires démocrates, surtout celles de New York (en particulier en 1980, 1984, 1988, etc.). L’un des candidats, voire plusieurs, réclamait le déménagement de l’ambassade des Etats-Unis en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem (ce qui reviendrait à reconnaître la souveraineté du gouvernement israélien sur l’ensemble de la Ville sainte). Ensuite, la primaire de New York terminée, les présidents maintenaient l’ambassade au même endroit. Et un autre candidat recommençait quatre ans plus tard1 value="1">Lire «Le poids du lobby pro-israélien aux Etats-Unis» et «Aux Etats-Unis, M. Ariel Sharon n’a que des amis», Le Monde diplomatique, respectivement août 1989 et juillet 2003..

Cette fois, il s’agit donc des républicains. Quelques jours avant le scrutin de l’Iowa, le candidat Ted Cruz a promis que, une fois élu président, il déplacerait «dès le premier jour» la fameuse ambassade. L’Iowa ne compte pourtant qu’environ 0,2% de Juifs. Mais les Eglises évangéliques y sont puissantes…

Dans le sud des Etats-Unis, elles le sont encore plus. Le 2 mars, à la First Baptist Church d’Opelika, en Alabama, l’importance pour les paroissiens d’Israël, de Jérusalem, des Palestiniens, saute aux yeux. Non que l’on suive de près les événements de la région. La foi – pas l’histoire récente, pas la politique – instruit le jugement et le vote.

Nous rencontrons Mme Sara-Jane Tatum à la fin de la réunion hebdomadaire de son groupe de discussion sur la Bible; une quarantaine de femmes y ont participé, dont deux Noires. Mme Tatum appartient à une association, l’International Christian Embassy Jerusalem (ICEJ). Elle en résume la mission: «Nous appuyons Israël dans la croyance que la capitale éternelle de l’Etat est Jérusalem.» Justement, elle vient de s’y rendre pour un «voyage d’études» (teaching tour) sur la recommandation de son pasteur. Au programme: la Knesset, une rencontre avec deux membres du Likoud (le parti du premier ministre, Benyamin Netanyahou), la participation à un banquet de plusieurs centaines de chrétiens pro-israéliens à l’hôtel Waldorf Astoria. «L’ambassadeur américain y est intervenu ainsi qu’un Arabe chrétien qui soutient Israël.» Mme Tatum a également visité le musée de l’Holocauste. En revanche, ni Jéricho, ni Bethléem (des lieux pourtant empreints de signification chrétienne), ni aucun endroit contrôlé par l’Autorité palestinienne n’ont figuré à son programme.

Son association lève des fonds «afin que les Juifs puissent quitter la France, l’Ukraine, et aillent en Israël»: «J’ai entendu dire que les Juifs français étaient persécutés.» L’étude de la Bible lui a «enseigné l’importance d’Israël dans [sa] foi et dans la connaissance de ce qui va advenir.» Se fondant sur les Ecritures, en particulier sur l’Ancien Testament, elle estime que, dans une première étape, l’ensemble de la Palestine doit revenir à Israël. Autant dire que la politique de colonisation du gouvernement de M. Netanyahou lui convient et qu’elle la soutient. «Un jour, nous ne savons pas quand, explique-t-elle, Dieu protégera Israël. Il a décidé que Jérusalem serait le centre du monde. C’est là que Jésus-Christ reviendra, sur le mont des Oliviers. Dieu a conclu un pacte avec le peuple juif. Ce pacte ne peut être ni remplacé, ni modifié, ni changé. En raison de leur désobéissance, le Seigneur a exilé les Juifs. Mais la terre est à eux.»

En attendant l’Apocalypse et le retour du Messie, quel destin réserve-t-elle aux Palestiniens, dont une minorité sont chrétiens, s’ils ne souhaitaient pas vivre dans un Etat juif? «Les autres pays arabes doivent les accueillir chez eux. En 1967, Dieu a protégé Israël, Israël a gagné.» Point final. Au demeurant, les vaincus n’ont pas motif à se plaindre: «Israël fait tout pour offrir des emplois aux Palestiniens, pour qu’ils puissent vivre en paix. Eux veulent davantage. S’ils ne sont pas heureux, qu’ils aillent ailleurs.»

Mme Deborah Jones, qui vient de diriger le groupe de discussion sur la Bible, s’est rendue en Israël à deux reprises, la dernière il y a huit ans. Elle se joint à notre discussion. Elle pense également que «les Israéliens essaient de toutes leurs forces d’aider les Palestiniens. La haine que ceux-ci éprouvent pour les Juifs est tellement puissante qu’ils résistent à cette aide». Quant aux Palestiniens chrétiens, leur demande de souveraineté en ferait presque des hérétiques: «Il y a une grande différence entre se dire chrétien et l’être. Eux détestent tellement Israël qu’ils n’acceptent pas vraiment le Christ comme Seigneur. Dieu a donné à Israël la terre, il ne permettra pas qu’elle soit divisée à nouveau. Et la règle de notre foi est d’honorer cet engagement.»

Assurément, concluent les deux paroissiennes, la paix serait une bonne chose. «Mais les Palestiniens n’en veulent pas. Ils veulent la terre.» Mme Tatum enchaîne: «Et ils veulent la mort des Juifs.»

Notes[+]

* Paru dans Le Monde diplomatique d’avril 2016.

Opinions Agora Serge Halimi États-Unis

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