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Trump Ier, pape de l’anti-décolonialisme

Depuis son retour à la Maison-Blanche, «Donald Trump redessine l’administration fédérale américaine, mais aussi tous les progrès que le monde non européen insuffle à l’occidentalité qu’il a subie», considère Alain Tito Mabiala.
États-Unis

Le monde non européen a depuis un certain nombre d’années remis en cause l’histoire linéaire du monde selon les scientifiques occidentaux. Dans cette mise en cause, s’effondrent le mythe de la puissance et du bon sens de l’entreprise civilisatrice et humanitaire, dont se servaient certaines consciences pour édulcorer la barbarie de l’esclavage, de la colonisation et des inégalités Nord-Sud. La décolonialité a permis de disséquer la complexité des rapports raciaux et coloniaux à travers l’histoire du monde.

La perspective décoloniale creusée dans ses profondeurs par des auteurs comme Joseph Anténor Firmin, Aimé Césaire, Anibal Quijano, Valentin Mudimbe, Frantz Fanon, Cheikh Anta Diop, Walter Mignolo et d’autres a mis en lumière le cynisme avec lequel une partie de l’humanité fut plongée dans un asservissement sous le prétexte d’une infériorité congénitale. La perspective décoloniale a révélé la persistance des méfaits coloniaux malgré toutes les bonnes intentions des droits humains. Cette démystification soulève des protestations de la part des victimes, mais aussi des réprobations chez les héritiers et les bénéficiaires du système à la fois culturel, politique et économique par le biais duquel le monde a été construit.

Aujourd’hui, l’Europe conteste les décisions non solidaires déployées par Trump au nom de la grandeur de l’Amérique. Peu de voix évoquent son acharnement contre la réécriture du mythe occidental et le démantèlement de son influence sur les peuples colonisés. Trump a signé un décret dans lequel il prétend «rétablir la vérité et la raison dans l’histoire américaine». Ce décret est une attaque contre le Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines, qui met en lumière l’histoire de l’esclavage, de la ségrégation raciale et des luttes pour les droits civiques des Noirs aux Etats-Unis1> «Smithsonian attaquée par Trump», Le Monde (blog), 02.04.2025.. Ce musée est la mémoire du passé obscur de l’Amérique comme ce fut pour la colonisation avec les pays européens, mais aussi une piste afin de montrer comment l’égalité, l’inclusion, le respect entre les communautés peuvent fédérer les énergies pour construire un futur sûr et commun2> «Un nouveau musée à Washington offre une plongée dans la face noire de l’Amérique», L’Express, 13.05.2016..

Bien avant Trump, déjà, en France, les études décoloniales avaient été ciblées dans une tribune écrite par plusieurs intellectuels3> «Quatre-vingts intellectuels publient un appel contre le ‘décolonialisme’», 24 Heures, 30.11.2018. La décolonialité y était accusée de nourrir la haine de la France par le biais de la race. Alors qu’Anibal Quijano en avait fait un bel outil pour remettre en question une «modernité» dont le cœur est la race et l’eurocentrisme4> Cairn.info, shs.cairn.info/revue-mouvements-2007-3-page-111?lang=fr, de même que Walter Mignolo déclamait: «Parce que la colonialité est partout, la décolonialité s’impose5> Cairn.info, shs.cairn.info/revue-multitudes-2021-3-page-57?lang=fr» et qu’Aimé Césaire, virulent, accusait le colonialisme.

Personne, parmi les critiques de la théorie décoloniale, ne fait allusion aux biais hérités de la racialisation et de la colonisation, qui nourrissent dans l’espace public comme privé un racisme aveugle, au point de confirmer l’existence d’un racisme systémique6> www.rts.ch/info/suisse/13947162-un-rapport-de-la-confederation-admet-pour-la-premiere-fois-un-racisme-structurel-en-suisse.html. Un racisme systémique combattu dans les services publics et privés par des lois qui favorisent l’inclusivité et la diversité7> Par exemple la loi cantonale neuchâteloise sur l’intégration et la cohésion multiculturelle: rsn.ne.ch/DATA/program/books/rsne/pdf/13204.pdf.

Avec le déni total venu du Bureau ovale, qui officialise la rengaine d’un discours moniste sur l’histoire occidentale dans le monde, nous sommes en face du sacre de l’antiwokisme et de l’anti-décolonialisme, dont Trump est le pape. Trump Ier.

Alain Tito Mabiala est journaliste et écrivain congolais exilé en Suisse.