Agora

Le vrai but de l’opération à Gaza? tuer les Arabes

PROCHE ORIENT • Depuis la première guerre du Liban il y a trente ans, la principale stratégie d’Israël a été de tuer les Arabes, selon le journaliste israélien Gideon Levy, éditorialiste au quotidien de gauche «Haaretz». Il ne voit aucune différence avec la situation actuelle à Gaza.

Le but de l’opération «Bordure protectrice» est de restaurer le calme; le moyen: tuer des civils. Le slogan de la Mafia est devenu la politique officielle israélienne. Israël croit sincèrement que s’il tue des centaines de Palestiniens dans la bande de Gaza, le calme règnera. Il est vain de détruire les stocks d’armes du Hamas, qui s’est déjà montré capable de réarmement. Abattre le gouvernement du Hamas est un but irréaliste (et illégitime), qu’Israël ne veut pas: il est conscient que l’alternative pourrait être bien pire. Ceci laisse un seul but possible pour l’opération militaire: tuer des Arabes, accompagnée par l’acclamation des masses.

Les Forces de défense d’Israël (IDF) ont déjà une «carte de la douleur» [pain map, qui liste les cibles les plus importantes du Hamas], une invention diabolique qui a remplacé la non moins diabolique «banque d’objectifs», et cette carte s’agrandit à un rythme révoltant. Regardez Al-Jazira English, une chaîne de télévision équilibrée et professionnelle (contrairement à sa station sœur arabe) et voyez l’étendue de son succès. Vous ne la verrez pas dans les studios d’émission «ouverts» d’Israël, qui ne sont ouverts comme d’habitude qu’aux victimes israéliennes, mais sur Al-Jazira vous verrez toute la vérité, et vous serez peut-être même choqués.

Les corps s’entassent à Gaza, le décompte désespéré, continuellement réévalué de la tuerie de masse dont se vante Israël, qui atteint déjà des dizaines de civils dont 24 enfants samedi midi [le 12 juillet], les centaines de blessés, en plus de l’horreur et des destructions. Une école et un hôpital ont déjà été bombardés. Le but est de frapper les maisons, et aucune justification ne peut aider: c’est un crime de guerre, même si l’IDF les appelle «centres de commandement et de contrôle» ou de «salles de conférence». Certainement, il y a des frappes bien plus brutales que celles d’Israël, mais dans cette guerre, il n’y a rien d’autre que des attaques mutuelles contre des civils – l’éléphant contre la mouche – il n’y a même pas de réfugiés. Au contraire de la Syrie et de l’Irak, dans la bande de Gaza, les habitants n’ont même pas le luxe de s’enfuir pour sauver leur vie. Dans une cage, il n’y a nulle part où courir.

Depuis la première guerre du Liban, il y a plus de trente ans, tuer des Arabes est devenu le premier instrument stratégique d’Israël. L’IDF ne mène pas la guerre contre des armées, les populations civiles sont ses principales cibles. Les Arabes sont nés pour tuer ou pour être tués, comme chacun sait. Ils n’ont pas d’autre but dans la vie, Israël les tue.

Bien sûr, on doit être outragé par le mode opératoire du Hamas: non seulement il dirige ses roquettes sur des centres de population civile en Israël, non seulement il se positionne dans des centres de population – il n’a peut-être pas d’alternative, vu l’entassement dans la bande – mais il laisse aussi la population civile de Gaza vulnérable aux brutales attaques d’Israël, sans qu’elle dispose d’une seule sirène, abri ou espace protégé. C’est criminel. Mais les barrages de l’aviation israélienne ne sont pas moins criminels, tant pour les résultats que pour l’intention: il n’y a pas un seul bâtiment résidentiel dans la bande de Gaza qui ne soit le foyer de dizaines de femmes et d’enfants; par conséquent l’IDF ne peut pas déclarer qu’il ne cherche pas à frapper des civils innocents. Si la démolition récente de la maison d’un terroriste en Cisjordanie soulève encore une faible protestation, maintenant, des dizaines de foyers sont détruits avec leurs occupants.

Les généraux en retraite et les commentateurs en fonction rivalisent pour faire la proposition la plus monstrueuse: «Si nous tuerons leurs familles, cela les effrayera», expliquait sans sourciller le général de division réserviste Oren Shachor. «Nous devons créer une situation où quand ils sortiront de leurs terriers, ils ne reconnaîtront pas Gaza», ont dit d’autres. Sans honte, sans questionnement – jusqu’à la prochaine enquête Goldstone.

Une guerre sans but est parmi les plus méprisables des guerres; le ciblage délibéré des civils est parmi les moyens les plus atroces. La terreur règne maintenant aussi en Israël. Mais il est peu vraisemblable qu’un seul Israélien puisse imaginer à quoi elle ressemble pour les 1,8 million d’habitants de Gaza, dont les vies déjà misérables sont maintenant totalement horribles. La bande de Gaza n’est pas un «nid de frelon», c’est une province du désespoir humain. Hamas n’est pas une armée, loin de là, malgré toutes les tactiques d’intimidation: s’il a déjà construit un réseau de tunnels aussi sophistiqué là-bas, comme il l’a dit, pourquoi ne construit-il pas déjà le réseau de tramway de Tel-Aviv?

Le niveau de 1000 sorties et 1000 tonnes d’explosifs est presque atteint, et Israël attend la «photo de la victoire» qui a déjà été réalisée: mort aux Arabes.

 

*Article paru dans Haaretz du 13 juillet 2014.
Traduction: Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien (CCIPPP), www.protection-palestine.org/

Opinions Agora Gideon Levy

Connexion