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Le salaire de la dignité: un minimum légal juste et nécessaire

SALAIRE MINIMUM • Maria Bernasconi plaide pour une meilleure répartition des richesses en Suisse et conteste les arguments des opposants au smic à 4000 francs.

Dans notre beau pays, près d’une personne sur dix travaille à plein temps sans arriver à nouer les deux bouts. Elles ont souvent une formation professionnelle certifiée, mais gagnent moins de 4000 francs par mois. S’il y a tant de working poor en Suisse, c’est parce que de nombreux secteurs restent sans CCT et que seule une moitié des salarié-e-s est protégée par des salaires minimums.

Prenons l’exemple d’une esthéticienne: malgré son CFC, elle touche 3000 misérables francs par mois, soit 16,50 francs de l’heure. A peine de quoi se nourrir et payer un loyer, l’assurance-maladie, les transports en commun et les factures courantes. Elle vit dans l’angoisse qu’une facture inattendue vienne bouleverser son précaire équilibre financier. Cette insécurité, une grande partie des femmes salariées la connaissent.

J’exprime ici ma révolte contre l’injuste répartition des richesses dans notre pays. Oui, la Suisse est un pays riche. La productivité du travail a augmenté de 6% ces dix dernières années. Les hauts salaires en ont profité, les bas et moyens revenus n’y ont vu que du feu, et le fossé ne cesse de croître. Je trouve inacceptable que l’Etat subventionne indirectement les entreprises qui rechignent à verser des salaires décents. Chaque personne travaillant à plein temps doit toucher un revenu lui permettant de vivre dignement, sans recourir à l’aide sociale.

La fixation d’un salaire minimum légal nous permettra enfin d’honorer ce principe, tout en combattant les inégalités entre les sexes. Car si 16% des femmes actives touchent moins de 4000 francs pour un plein temps, les hommes ne sont que 6% dans cette situation. Dans le commerce de détail, pour un travail à qualification égale et avec le même cahier des charges, les femmes gagnent 630 francs de moins par mois que les hommes. Et cela fait trente ans que l’égalité entre femmes et hommes figure dans notre Constitution…

La stratégie des opposants au salaire minimum? Crier au loup pour inquiéter l’opinion: 4000 francs par mois ce serait beaucoup trop, cela risquerait d’augmenter les licenciements, le chômage, la main-d’œuvre étrangère, que sais-je encore… Cet alarmisme est totalement injustifié. Mais crier à la faillite du système économique a été la stratégie utilisée contre chaque avancée sociale: contre la diminution des heures de travail, contre l’abolition du travail des enfants, contre la création de l’assurance-maternité. C’est le contraire qui s’est révélé vrai: alors que le temps de travail a fortement diminué ces cent cinquante dernières années, la richesse de la Suisse a quintuplé. Ces progrès sociaux ont largement contribué à faire de la Suisse une des meilleures économies du monde.

Les patrons auront trois ans pour relever les salaires. Avec un peu de bonne volonté, cet effort est possible. On l’a vu avec l’hôtellerie-restauration où le salaire minimum est passé de 2350 à 3680 francs en quinze ans, sans tuer l’emploi. Plusieurs études et les expériences menées ailleurs démontrent que la hausse des salaires minimums ne crée pas de chômage. En améliorant le pouvoir d’achat des bas revenus, le salaire minimum stimulera la consommation et donc l’économie intérieure.

A l’heure où certaines entreprises crient à la faillite, il est cocasse de constater que beaucoup d’autres annoncent soudainement qu’elles vont adapter leur niveau de rémunération pour se conformer au minimum de l’initiative: H&M, Lidl, Bata, les librairies en Suisse alémanique, les fleuristes et les boulangeries pour leur personnel de vente formé, etc. Encore un indice que c’est possible!

Prétendre que le salaire minimum conduirait à des délocalisations ne tient pas. La Suisse aura toujours besoin de vendeuses et de manucures ici. Incohérents, les opposants disent d’ailleurs aussi le contraire: le salaire minimum suisse va attirer de la main-d’œuvre étrangère. Après le verrouillage du pays qu’implique l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse, permettez-moi d’en douter. Et puis s’il faut rémunérer le travailleur polonais autant que le suisse, ça n’aura plus aucun intérêt de recruter ailleurs.

L’enjeu de la votation du 18 mai est de poser des limites à la cupidité de certains patrons, et de rendre leur dignité à des centaines de milliers de salarié-e-s. La politique des bas salaires n’est pas une perspective pour notre pays. Le travail fourni par des êtres humains a une valeur, et il faut le rémunérer à son juste prix. Votons OUI au salaire minimum!
 

*Conseillère nationale socialiste genevoise et membre du comité de l’USS.

Opinions Agora Maria Bernasconi

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