Contrechamp

Des terres si tentantes

BRÉSIL • Riches en ressources potentielles, les territoires des populations amérindiennes suscitent la convoitise. Les communautés indigènes de Raposa Serra do Sol, en Amazonie, voient leur souveraineté territoriale menacée au nom de la croissance économique. Terre des Hommes Suisse les aide à défendre leurs droits.
Pour faire valoir leurs droits TDH

En juin 2013, alors que des milliers de Brésiliens descendaient dans les rues pour dénoncer l’absence de services publics dignes de ce nom (santé, éducation et transports notamment) parallèlement à l’investissement de milliards dans la Coupe du monde de football 2014, les communautés indigènes avaient, elles aussi, fait le déplacement. L’objet de leur protestations: plusieurs initiatives émanant du lobby agro-industriel et menaçant directement les droits territoriaux, la culture et la vie de leurs peuples. L’occasion de rappeler également que vingt-cinq ans après la Constitution de 1988, qui consacrait la démarcation des terres indigènes dans les cinq ans, celle-ci n’est toujours pas achevée et lesdits territoires de plus en plus menacés. Au cœur de la septième puissance économique mondiale, la réalité de la croissance n’est pas toujours rose.

Montagnes, forêts, savanes, rivières, chutes d’eau et, surtout, du vert à perte de vue. Au cœur de l’Amazonie brésilienne, à des centaines de kilomètres de la capitale, c’est le territoire indigène de Raposa Serra do Sol. Situées dans l’Etat de Roraima, l’un des plus faiblement peuplés du pays, ces terres qui abritent entre 18 000 et 20 000 Amérindiens pourraient ressembler au paradis. Elles sont pourtant le théâtre d’âpres luttes. Ce n’est ainsi qu’après plusieurs années de procédures et une décision de la Cour suprême brésilienne que le CIR (Conseil indigène de Roraima), qui collabore avec près de 300 communautés de la région, a obtenu en 2009 la reconnaissance et l’homologation officielle du territoire.

En raison de leurs potentialités en termes d’exploitation agricole intensive (riz, soja, canne à sucre, huile de palme, etc.) ou d’élevage, mais aussi de leurs ressources sylvicoles, pétrolières, minières ou encore énergétiques (biocarburants, barrages hydroélectriques), les terres des populations amérindiennes font l’objet de multiples convoitises. Cette situation conduit à de fortes pressions politiques et économiques, qui menacent la sécurité et l’environnement des communautés et qui remettent en question le processus de protection et de reconnaissance de leurs terres. Sur le terrain, à des kilomètres des centres urbains et à l’abri des regards extérieurs, éleveurs ou cultivateurs peu scrupuleux occupent parfois illégalement les terres et n’hésitent pas à utiliser la violence pour intimider les populations amérindiennes, comme les communautés de Raposa Serra do Sol ont pu l’expérimenter à maintes reprises.

Ancienne élève du centre de formation du CIR à Surumu et actuellement enseignante, Marizete se souvient: «J’ai étudié au centre pendant une période de grands conflits. Il pouvait arriver n’importe quoi chaque jour, on vivait dans la crainte, la peur!»

Pour défendre leurs droits, leur culture et leur territoire, les communautés indigènes ont mis en place différentes stratégies, parmi lesquelles ce centre de formation soutenu par Terre des Hommes Suisse. Ici, des jeunes de toute la région sont formés durant quatre ans aux techniques de production et de gestion de l’environnement. Une démarche qui vise à garantir à long terme la sécurité alimentaire et l’autonomie économique des communautés, une bonne gestion des terres et la préservation des traditions.

«J’ai été choisie par ma communauté sur la base de mon comportement et de mon engagement personnel à étudier et à revenir ensuite pour développer ma région. Aujourd’hui, je donne un appui technique en agriculture et élevage aux femmes qui développent des activités génératrices de revenus: élevage de poules et canards, maraîchage, etc.» explique ainsi Marizete.

Une fois formés, les jeunes retournent en effet dans leurs villages respectifs pour y transmettre leur savoir, en particulier aux chefs de village et aux enfants. «Il faut d’abord récupérer notre culture. A partir de là, on peut analyser nos autres besoins, s’organiser et défendre nos droits», explique le tuxawa (chef spirituel) du village de Willimon.

Une tâche qui n’est cependant pas toujours aisée: «La plupart des anciens élèves servent de conseillers dans leur communauté pendant plusieurs années, mais ils sont volontaires, ce n’est pas un engagement facile. Les jeunes sont tentés de partir en ville pour gagner de l’argent!», explique Pedro, tuxawa de sa communauté depuis quelques mois.

«Il faut augmenter les capacités des jeunes pour leur donner les moyens de vivre selon leurs traditions, lutter contre les agrotoxiques et puis prévenir les achats de produits industriels, estime lui aussi Gercimar Morales qui travaille pour le projet du CIR. Au-delà de la formation en agriculture, élevage et environnement, le centre veut également créer des jeunes leaders, des gens qui ont du caractère, une certaine maturité», s’empresse-t-il toutefois d’ajouter.

Un objectif qui fait sens dans une bataille qui se mène également sur le plan politique, dans la lointaine capitale. «Ce qui m’intéresse le plus, c’est le travail dans l’agriculture et les questions politiques, notamment la lutte pour la terre», affirme d’ailleurs Marizete.

A la suite des manifestations massives de juin 2013, les représentants des communautés amérindiennes – parmi lesquels le CIR – obtenaient enfin une réunion avec la présidente Dilma Roussef, deux ans et demi après son entrée en fonction. A cette occasion, l’APIB (Articulation des peuples indigènes du Brésil) lui remettait une lettre demandant la mise en œuvre de politiques publiques de qualité dans les domaines de la santé et de l’éducation, et, surtout, la révocation de tous les textes menaçant les droits territoriaux, la culture et la vie des peuples indigènes.

Parmi les initiatives pointées du doigt, le PEC 215, un projet d’amendement à la Constitution qui projette de soumettre la démarcation et l’homologation de terres indigènes à l’approbation des sénateurs et des députés, prérogative jusque-là détenue par la Présidence de la République. Au vu de la composition du Congrès qui compte une large représentation de l’agrobusiness, cette proposition représente une menace directe contre la souveraineté territoriale des communautés et le processus de démarcation de leurs terres. Si le gouvernement s’y est déclaré opposé, il n’a pas pour autant nié son intention de modifier la procédure de démarcation des terres indigènes, ce qui suscite de nombreuses craintes au sein des communautés.

D’autres projets de loi visent en outre à ouvrir les territoires indigènes à des bases de l’armée, à l’exploitation minière intensive, à des barrages, ou encore à d’autres projets industriels. En octobre dernier, à l’occasion des vingt-cinq ans de la Constitution brésilienne, de nouvelles manifestations de communautés indigènes secouaient l’ensemble du pays, avec blocages de routes et occupation d’édifices, dans un mouvement sans précédent depuis de nombreuses années.
Parvenu au rang de septième puissance économique mondiale dans le courant de la dernière décennie, le Brésil compte désormais parmi les «pays émergents». Mais à quel prix s’effectue cette croissance rapide? Et combien en sont et en seront encore les victimes? A quelques mois du coup d’envoi du Mondial de football qui se déroulera dans douze villes du pays et alors que le Brésil s’apprête à inonder les médias de ses paillettes, la population brésilienne n’a de cesse de rappeler cette réalité.

Il y a quelques semaines à peine, de nouvelles manifestations de protestation contre les dépenses astronomiques de l’Etat pour le Mondial au détriment d’autres secteurs plus fondamentaux étaient ainsi réprimées dans les rues de plusieurs grandes villes du pays. Si elles n’obtiennent pas de réponse à leurs revendications, les populations autochtones ne manqueront sans doute pas, elles aussi, de se manifester à l’occasion de cet événement sportif. Le gouvernement les entendra-t-il ?

Achetez des mouchoirs!

GENÈVE • Le projet de formation de jeunes du CIR en Amazonie brésilienne est l’un des projets soutenus par Terre des Hommes Suisse grâce aux bénéfices de sa traditionnelle vente de mouchoirs. Cette année, la vente aura lieu les 14 et 15mars dans les rues de Genève et dans plusieurs communes du canton. Les paquets de mouchoirs peuvent également être commandés en tout temps via le site www.terredeshommessuisse.ch

* Collaboratrice à Terre des Hommes Suisse.

Opinions Contrechamp Juliette Müller

Connexion