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4000 francs pour vivre, oui, c’est le minimum

SUISSE • La conseillère nationale Maria Bernasconi plaide en faveur de l’initiative de L’Union syndicale suisse, qui préconise une salaire minimum de 4000 francs.

3000 francs par mois, soit 16,50 francs de l’heure, c’est le salaire misérable d’une coiffeuse formée à plein-temps. A peine de quoi se nourrir et payer un loyer, l’assurance maladie, les transports en commun et les factures courantes. Alors le week-end, entre le cinéma et les pop-corn, elle doit choisir. Et pas question de partir en vacances.

Est-ce que vous vous sentez à l’aise quand vous vous prélassez chez la coiffeuse, tout en sachant que, malgré son excellent travail, elle galère? Moi pas! Ce type de salaire est inacceptable, d’autant qu’il est une réalité dans de nombreuses professions. Lorsqu’elles terminent leurs apprentissages respectifs, les fleuristes touchent entre 3000 et 3500 francs, les vendeuses entre 3100 et 4200 francs et les assistantes en pharmacie entre 3100 et 4000 francs. Actuellement en Suisse, 10% des salarié-e-s travaillent à plein-temps pour moins de 4000 francs par mois, soit 400 000 personnes.

Dans notre pays, le problème des bas salaires est minimisé, avec l’argument fallacieux qu’il s’agirait d’un phénomène passager lié à l’entrée dans la vie professionnelle. C’est complètement faux: 77% des personnes touchant de bas salaires ont vingt-cinq ans ou plus, et donc terminé depuis longtemps leur formation initiale. En plus d’un salaire minimum légal de 22 francs par heure, l’initiative de l’Union syndicale suisse (USS) demande à la Confédération et aux cantons de s’engager pour que davantage de travailleurs et travailleuses soient protégés par une CCT. C’est le seul moyen de s’attaquer efficacement au problème des bas salaires: en fournissant un moyen de contrôle efficace, ce minimum permettra de sanctionner les patrons qui font pression sur les salaires.

Le salaire minimum a un autre avantage de taille: il favorise l’égalité salariale entre les sexes. Sur dix actifs à plein-temps dont le salaire mensuel est inférieur à 4000 francs, sept sont des femmes. Cherchez l’erreur une première fois…Un tiers de ces personnes ont un CFC… Cherchez l’erreur une deuxième fois! En 2010, 5,6% des hommes titulaires d’un CFC ne touchaient qu’un bas salaire, alors que cette proportion était presque trois fois plus élevée chez les femmes: 15,7%. Les salaires minimums sont ainsi un instrument efficace de lutte contre la discrimination dont les femmes sont victimes.

Les opposants prétendent aussi que le salaire minimum menacerait un partenariat social à l’origine de la prospérité de notre pays. Mais ce partenariat ne concerne que la moitié des salarié-e-s, et non celles et ceux qui travaillent dans les domaines typiquement féminins où le taux de couverture par CCT avoisine le 0%. Avec un taux de couverture conventionnelle d’environ 50%, notre partenariat social est sous-développé en comparaison internationale.

Certains craignent que le peuple rejette l’an prochain les accords bilatéraux sur la libre circulation des personnes. Mais les personnes critiques face à l’ouverture des frontières ont surtout peur d’une chose: que l’on engage un concurrent venu d’ailleurs pour moins cher. Or, un salaire minimum imposé est la meilleure protection contre la sous-enchère salariale, et donc un moyen efficace pour rassurer la population. La droite devrait y songer si elle veut combattre efficacement les velléités de fermeture de notre pays, et continuer à faire du commerce avec l’Union européenne.

L’argument selon lequel les salaires minimums entraîneraient une hausse du chômage ne tient pas davantage. Dans l’hôtellerie-restauration, où le salaire minimum a augmenté de plus de 40% ces dernières années, le chômage n’a pas progressé, bien au contraire: la part de cette branche au chômage total a baissé. En réalité, c’est le contraire qui est vrai: en augmentant le pouvoir d’achat du bas de l’échelle salariale, la consommation et la demande générale augmenteront, débouchant ainsi sur la création de nouveaux emplois.

Le salaire minimum suscite à droite des craintes infondées. Il n’en reste pas moins indispensable pour contrer la pression sur les salaires, mais aussi pour maintenir la cohésion sociale et l’ouverture de notre pays, condition de notre prospérité.
 

* Conseillère nationale socialiste genevoise.

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