Chroniques

La paix!

Mauvais genre

Etes-vous favorable à la promotion de la paix dans le monde? Oui, non? Si vous optez pour l’affirmative, soyez heureux: vous faites partie des 90,5% de Suisses qui partagent ce bel idéal. Les 9,5 restants doivent être, soit d’éternels indécis, soit des naturalisés qui n’ont rien compris à la Pax Helvetica. Mais dans les sondages, le plus intéressant n’est pas tant la réponse que la question; ou plus précisément, la façon dont cette dernière a été formulée. Et nous avons affaire ici à un expert, l’institut AmPuls, qui, comme son nom l’indique, s’y connaît en prises de pouls. Car avec le mot paix, les pulsations restent normales, régulières. Si le sondeur avait demandé au même échantillon de mille résidents suisses: êtes-vous prêts à vous engager dans une guerre au niveau mondial, on peut subodorer que les battements auraient été un peu plus rapides, que l’on eût même pu déceler quelques symptômes d’arythmie chez certains sujets. Mais quand on veut la paix, il ne faut pas inquiéter les gens. Or la grande question qui semble préoccuper Swisspeace, le commanditaire dudit sondage, semble bien être de savoir si nos compatriotes accepteraient un engagement militaire de la Suisse dans des conflits à l’étranger. Et là, l’euphorique pourcentage se disloque lamentablement, surtout du côté des Romands, traîne-godillots comme toujours. Non, apparemment, on n’est pas très chauds pour aller faire la paix avec armes et bagages. Le message est donc adressé implicitement au Conseil fédéral: il lui faudra encore travailler les citoyens; un peu plus d’engagement, que diable!

C’est en effet notre point faible. Le directeur français d’un théâtre genevois reconnaissait, il y a quelques mois, qu’il était arrivé en Suisse avec un apriori négatif: nous avons toujours su rester en dehors des guerres. Nous nous sommes défilés, frileusement. C’est un cliché qu’on entend souvent, dans la bouche de nos voisins. Quoi! Nous n’avons pas tiré la barbichette à Napoléon le Troisième, ou grillé les moustaches des deux Guillaume? Ni crié Maréchal nous voilà, ou fait la nique au Père Adolf? Quelle lâcheté! Et voyez: les places de nos villages pleurent l’absence des monuments aux morts, nos rues sont orphelines des héros, généraux et batailles qui auraient pu leur donner leurs noms. Ni Sedan, ni Verdun, ni Dresde, pas de gueules cassées, pas de gazés! On comprend mieux que les Chinois ne veuillent pas de nos poulets: en matière de boucherie, nous n’avons jamais eu le débit.

On s’est cherché des excuses: nous étions pris en tenaille entre deux très grands frères, qui nous auraient volontiers engloutis. Et puis, en 1870 et 1914 du moins, les causes n’étaient pas de nature à nous enthousiasmer. Moi qui suis un pied-plat réfractaire aux drapeaux, quelle qu’en soit la couleur, j’avoue même apprécier cette distance, quoique très relative, qu’on a pu garder; une sorte de regard désabusé, ironique, amer parfois, accablé plus souvent, sur ce qui se passait autour de nous. Mais sans avoir la tête dans le panier; essayant de faire la part des choses, dans ce genre de conflits où généralement toute lucidité s’abîme.

Les temps ont changé. Les guerres sont devenues un peu plus lointaines. On nous fait désormais comprendre qu’on n’a plus droit à la dérobade. Il y a peu de temps encore, les champs de bataille syriens semblaient prêts à nous tendre les bras; les ardeurs se sont refroidies de ce côté-là, dirait-on: on se contente des actions de la Croix-Rouge. Mais la Suisse a son rôle à jouer dans le monde. En faveur de la paix; de la swisspeace, pour parler dans une langue aussi internationale que doivent l’être nos ambitions. Les faits et Ueli Maurer sont d’ailleurs là pour nous encourager. Prenons l’exemple du Kosovo, où la Suisse œuvre sous l’autorité de cette agence pacifiste bien connue qu’est l’OTAN. Comme le précise le site Swissinfo, sur la base des confidences de notre Conseiller fédéral, «cet engagement a offert à l’armée suisse un surcroît d’expérience et de visibilité». Il fallait naguère encore nous observer à la loupe. Mais à présent, entendez-vous dans leurs campagnes le son de nos clairons? Quant à l’expérience, on peut espérer que nos soldats en auront fait le plein, lorsqu’ils reviendront au pays. Ils ont appris là-bas à «maintenir l’ordre», selon Swissinfo toujours. Belle mission. C’est sans doute pour elle que nous serons convoqués devant les urnes, à l’automne, par le désarmant Groupe pour une Suisse avec une Armée qui ne soit pas d’Amateurs. Pour que la paix soit en marche! Cela commence à bouger au sein de l’Union; avec le secret espoir de nous faire pardonner 1992, nous irons exporter notre savoir-faire en Espagne, en Grèce. Mais surtout, il se pourrait que des éléments troubles viennent perturber le bon ordre helvétique. Avec quel plaisir nous verrons alors, en toute visibilité, nos soldats expérimentés défiler dans nos rues. N’hésitons plus, engageons-nous! Mais pour la paix.

* Ecrivain.

Opinions Chroniques Guy Poitry

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lundi 8 janvier 2018

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