Chroniques

Ouvrons les prisons

 
Mauvais genre

Nous manquons cruellement de divertissements. Les nuits sont longues, les bars ferment tôt, la police fait sa ronde: fini les rixes; même le petit train du matin se ferme au coup de poing. Autrefois il y avait le cirque, le dimanche; voyez ce qu’il est devenu, depuis que les fauves s’y font rares, et que le fouet hésite à claquer. On s’ennuie, on bâille. Ne parlons pas du zoo: les animaux y semblent tellement à l’aise, dans leurs enclos devenus plus vastes, que c’est le visiteur qui se sent en cage, devant les grilles. Que nous reste-t-il? Les prisons. Elles ne manquent pas. Ouvrons-les.

Qu’on me comprenne bien: je ne parle pas de libérer les prisonniers – je ne suis pas totalement irresponsable. Je songe à l’ouverture des lieux de détention au public. Il n’y a là rien d’original, la chose était courante jusqu’à la Révolution. Delacroix et Baudelaire ont immortalisé ces foules hurlantes qui se pressaient autour du Tasse emprisonné. Il est vrai que le poète italien passait pour fou, ce qui donnait une résonance particulière au cliquetis des chaînes; et qu’à l’inverse, il n’y a rien de très excitant, aujourd’hui, à voir un col blanc sur un matelas, même posé à terre. Mais les auteurs d’infractions économiques ou financières sont beaucoup moins nombreux derrière les barreaux qu’on ne l’imagine. En revanche, la frontière entre folie et criminalité est redevenue poreuse, ce qui laisse présager des visites aussi édifiantes que divertissantes. Il faut d’ailleurs préciser que la grande variété d’origine des détenus promet un parcours coloré: pas moins de quarante nationalités différentes à la prison de Thorberg, nous dit-on.

Je ne m’aveugle pas sur les problèmes que rencontrerait l’ouverture de ces lieux, destinés à la base à un tout autre usage. Les questions de sécurité se résolvent assez facilement; mais je vois des couloirs engorgés par les curieux, ou la difficulté de distinguer ces détenus entassés dans des cellules trop étroites. Il suffirait toutefois d’exiger un droit d’entrée relativement élevé: on n’aurait plus pour visiteurs qu’une société choisie; et les sommes ainsi récoltées permettraient d’agrandir les locaux destinés aux prisonniers, d’accorder plus d’espace à cette «faune» (selon l’expression consacrée, et si appropriée dans notre contexte).

Mais surtout, on aura remarqué l’irritation croissante des citoyennes et citoyens à l’égard des criminels et des étrangers (les deux communautés se confondant ici). A une époque où l’on n’ose plus faire kss kss devant la cage aux lions, parce qu’il faut tout de même respecter les animaux, le défoulement en milieu carcéral plutôt que dans les urnes serait tout à fait bienvenu. On éviterait alors la promulgation, sans cesse, de nouvelles lois durcissant ou allongeant les peines, ce qui finit toujours par grever le budget de l’Etat et celui du contribuable. Et dans cette confrontation directe entre la fureur légitime de l’homme de bien et la violence primaire du condamné, même ce dernier pourrait y gagner: il trouverait ainsi moyen de décharger son surplus d’adrénaline autrement qu’en agressant ses codétenus, en se cognant la tête contre les murs ou en s’automutilant. Ce seront aussi des frais médicaux en moins.

Je ne doute donc en aucune façon du succès de l’entreprise, qui devrait satisfaire aussi bien les détracteurs de l’incarcération que ses partisans. D’un côté, les conditions de détention pourraient être améliorées et les peines réduites, le public se lassant assez vite de voir toujours les mêmes têtes; de l’autre, on ne manquera pas d’emprisonner avec plus de célérité, pour pouvoir disposer d’un ensemble de sujets bien fourni et régulièrement renouvelé.

Un beau programme, en somme.

* Ecrivain.

Opinions Chroniques Guy Poitry

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lundi 8 janvier 2018

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