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Notre tradition humanitaire sacrifiée

AGORA ASILE • Maria Bernasconi préconise le rejet de la révision de la loi sur l’asile, soumise aux urnes le 9 juin.

La dernière révision du droit d’asile achève ce
qui pouvait rester de la tradition de la Suisse
comme terre d’accueil pour les personnes en
détresse. Cet ixième durcissement donne une
image pitoyable de notre pays à l’étranger: un
petit pays riche recroquevillé sur la défense de
ses privilèges qui fait tout un fromage avec sa loi
sur l’asile, au point de décréter des mesures urgentes.
Les chiffres indiquent pourtant que non
seulement les requérants représentent une partie
infime de la population suisse, mais aussi de
la population étrangère: fin 2012, sur 8 millions
d’habitant-e-s, 1 825 000 étaient des étrangers
et des étrangères, et seulement 45 000 des requérant-
e-s d’asile. Dans ce contexte, modifier
notre tradition humanitaire – pour des motifs
prétendument sécuritaires, en réalité électoralistes
– est un vrai gâchis!
Si la gauche a dû saisir l’outil du référendum,
c’est parce que la majorité du parlement
a pris des mesures insensées, qui vident le droit
d’asile de sa substance. Par exemple, elle a décidé
de supprimer le droit de déposer une demande
d’asile dans les ambassades. Comme
c’est la seule option pour la plupart des personnes
persécutées, qui par définition ne peuvent
quitter leur pays, on se demande ce qui va
advenir d’elles. Et en particulier des femmes et
des enfants, à qui l’on doit une grande proportion
de demandes déposées dans les ambassades.
Depuis 1980, 2572 vies ont pu être
sauvées grâce à cette possibilité: un sacré
succès sur le plan humanitaire qu’il s’agit de
sauvegarder. La supprimer poussera à la migration
illégale avec un recours accru aux passeurs,
qui profitent de la détresse humaine
pour pratiquer des prix exorbitants.
Ne plus reconnaître la désertion comme
motif d’asile est une autre décision absurde.
Même si Simonetta Sommaruga a assuré que
les principaux concernés, les Erythréens,
continueraient d’être accueillis en Suisse s’ils
ont été persécutés. A ce stade, on se demande
déjà si la Suisse a encore une tradition humanitaire.
Mais le tableau n’est pas complet: il faut
encore y ajouter l’ouverture de nouveaux
centres pour les étrangers dits «récalcitrants»,
des camps aux contours si flous qu’ils laissent
présager le pire.
La Suisse durcit sa loi sur l’asile depuis que je
suis au parlement fédéral, soit depuis près de
vingt ans. Mais la droite a le sentiment que la vis
n’est jamais assez serrée. Ce n’est pas ce durcissement
supplémentaire qui va résoudre les problèmes,
bien au contraire: ce n’est que de la
poudre aux yeux. Je regrette beaucoup que les
médias (Le Courrier mis à part) ne ratent aucune
occasion de mettre en avant les faits divers, renforçant
ainsi le sentiment d’insécurité de la population.
Certes, les immigré-e-s sont surreprésentée-
s dans les statistiques de la criminalité. Mais
tentons d’en comprendre les raisons, plutôt que
de mettre tous les étrangers dans un même sac
pour réclamer leur expulsion. Cette surreprésentation
n’est pas propre à notre pays, on la retrouve
dans tous les Etats. Ailleurs aussi, elle
s’explique très souvent par le fait que la population
migrante est principalement composée
d’individus de sexe masculin, jeunes, de niveau
socio-économique et de formation inférieurs,
dont la propension à commettre des crimes est
beaucoup plus forte que la population helvétique,
composée d’une moitié de femmes et
d’une majorité de personnes âgées, respectant
en principe mieux la loi. D’ailleurs, si l’on compare
le taux de criminalité des étrangers à celui
des nationaux du même sexe, de la même classe
d’âge, de la même catégorie socio-économique
et du même niveau de formation, la différence
disparaît complètement.
C’est par des mesures préventives qu’il faut
lutter contre ce phénomène, notamment en
continuant à se battre pour un monde plus juste
et pour plus d’égalité. Plutôt que de durcir la
loi sur l’asile, il faudrait améliorer le service public,
dont la police fait partie, et mieux répartir
les richesses dans le monde. Si des étrangers
commettent des délits ou des crimes, c’est le
code pénal qui doit être appliqué. Il n’y a pas de
raison de modifier le droit des étrangers pour
une proportion infime de personnes problématiques.
Sauvons notre tradition humanitaire en
votant «non» le 9 juin.
 

* Conseillère nationale PS/GE

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