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Lettre ouverte au capitaine d’Etat Maudet

AGORA GENÈVE • Sylvain Thévoz interpelle le conseiller d’Etat Pierre Maudet sur sa conception de la politique de sécurité.

Monsieur le capitaine d’Etat, depuis votre arrivée au pouvoir au Conseil d’Etat au mois de juin 2012, vous jouez du bâton. En effet, après vous être débarrassé de Fabienne Bugnon, directrice de l’Office des droits humains (ODH), viré manu militari Dominique Roulin, directrice [de la prison] de La Clairière, vous mettiez le 3 décembre aux arrêts Jacques-Eric Richard, directeur ad interim [du même établissement] au motif grave que vos ordres n’avaient pas été respectés. «L’idée était d’avoir deux types de serrure, afin que les employés n’aient pas sur eux les clés permettant de sortir du centre», expliquez-vous. Cet ordre n’ayant pas été exécuté, vous vous sentiez légitime de virer votre directeur.

Car vous ordonnez, Monsieur le capitaine d’Etat, et vos troupes ont pour mission d’exécuter. Gare à celui, celle, qui ne marche pas droit. Bien entendu, vous, vous n’êtes jamais responsable. Vous commandez, vos subordonnés ont pour mission d’obéir. Si donc la fin des évasions exige les changements de cylindre, c’est simple comme bonjour, cela devrait fonctionner. Sinon, vous congédiez. L’arbitraire semble faire partie de votre manière de convaincre.

Mais si c’étaient vos manières de commander qui étaient à réviser? Car cette stratégie de maximisation des «résultats» et votre rudesse à les obtenir soulèvent la question: combien de fusibles allez-vous encore faire sauter? A chaque ordre non exécuté, vous allez en virer combien, de collaborateurs et de collaboratrices?

En même temps, sur des dossiers moins exposés médiatiquement, vous faites preuve d’un laisser-faire troublant. Par exemple, dans le rapport du Comité antitorture sur la Suisse du 25 octobre 2012, Genève était salement épinglé. Il y est écrit qu’une proportion troublante de personnes, dont quelques mineurs, avec qui la délégation s’est entretenue dans le canton, se sont plaintes de mauvais traitements physiques que la police leur aurait infligés au moment de l’appréhension, ou peu après.

Ces allégations étaient souvent étayées par les données médicales. Le Comité anti-torture du Conseil de l’Europe a donc recommandé que des mesures de lutte contre les mauvais traitements soient prises dans le canton, au moyen de meilleures formations et du renforcement des garanties existantes, et que les lésions traumatiques établies en période d’admission à la prison de Champ-Dollon soient automatiquement transmises à un organe d’enquête indépendant. Dites, vous avez suivi ces recommandations, Monsieur le capitaine d’Etat?

Le 23 novembre dernier, le Comité national de prévention de la torture (CNPT) publiait à son tour son rapport dans lequel était à nouveau épinglé Genève. Les locaux de détention à l’aéroport y sont décrits comme inadaptés à l’accueil des enfants. La commission s’est déclarée très préoccupée (dans la bouche diplomate d’une d’officine fédérale, c’est quelque chose) par les conditions d’accueil dans le centre de transit de l’aéroport de Genève. Une prison n’est de fait pas adaptée à «l’hébergement» de familles avec femmes et enfants sur une longue période. Les autorités devraient transférer les enfants au CEP [Centre d’enregistrement et de procédure] de Vallorbe ou faire en sorte que les enfants puissent aller au jardin d’enfants ou à l’école durant la journée. Dites, vous avez suivi ces recommandations, Monsieur le capitaine d’Etat?

Plus grave encore. L’OPP (Observatoire des pratiques policières) fait état de régulières violences lors d’arrestations, d’insultes racistes, de poignets cassés, de minorités visibles persécutées par, notamment, un agent de police clairement identifié, de citoyens lésés dans leur droit. Dites, vous avez pris soin de recevoir l’observatoire des pratiques policières, Monsieur le capitaine d’Etat?

A ce jour, à ma connaissance, aucune de ces recommandations, que ce soient celles du Comité antitorture du Conseil de l’Europe, ou celles du Comité national de prévention de la torture, n’a été suivie d’effets de votre part. Faut-il en conclure que si vous, vous donnez des ordres, vous êtes récalcitrant à suivre des recommandations?

Enfin, et c’est ce qui m’a poussé à vous écrire, vous vous êtes positionné, le 2 décembre, dans la presse, comme voulant poursuivre et punir ce que vous appelez les plaintes fantaisistes à l’égard des forces de police. Vous avez donc choisi, plutôt que de suivre les recommandations sur des maltraitances effectives de vos services, de mettre la pression sur ceux qui viendraient en témoigner. Vous avez préféré protéger votre troupe (quitte à jeter le discrédit sur elle), plutôt que de faire respecter le droit. Vous avez levé le maillet de la sanction sur ceux qui braveraient la loi du silence; comme si porter plainte contre la police n’était pas déjà chose suffisamment intimidante et difficile.

Certains d’entre nous, lors du vote de la nouvelle Constitution genevoise, craignaient l’engagement potentiel de l’armée pour des tâches d’ordre public. Force est de constater, aujourd’hui, que cette crainte n’est rien en regard du risque bien réel de dérive militaire de la police, et de la relégation au second plan du respect des droits humains les plus élémentaires.

La conception avant tout répressive de la sécurité que vous défendez, le cocktail composé de new management, d’obligation de résultats et d’obéissance militaire avec laquelle vous souhaitez la réaliser font aujourd’hui peser un risque sur la sécurité des citoyen-ne-s au contact de la police.

Dites, Monsieur le capitaine d’Etat, vous n’auriez pas envie de repasser vos habits civils?
 

*Conseiller municipal socialiste, Ville de Genève.

Opinions Agora Sylvain Thévoz

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