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L’Espagne face à ses démons indépendantistes

AGORA ÉLECTIONS • Le résultat du scrutin de dimanche confirme l’assise de l’indépendantisme au Pays basque. Un résultat à replacer dans le contexte de la crise financière. Eclairage.

Les résultats des élections dans la Communauté autonome du Pays basque de dimanche passé ont constitué un véritable plébiscite pour le Parti nationaliste basque (PNV) et pour la coalition indépendantiste EH Bildu. Un an après l’annonce historique de l’ETA d’un abandon de la lutte armée, ces deux partis ont raflé près de deux tiers des sièges du parlement basque (48 sur 75). Si le PNV reste majoritaire au Pays basque et formera le prochain gouvernement, ces élections marquent essentiellement le retour en force des Indépendantistes après leur interdiction par la justice espagnole.

Exclue des institutions politiques pour ses liens avec l’ETA, la Gauche abertzale (patriote) avait décidé, en 2010, de miser sur le rejet de la violence et de s’allier avec d’autres forces politiques séparatistes pour former une coalition électorale. Après les succès des élections municipales et nationales de 2011, le résultat du scrutin de dimanche confirme l’assise de l’indépendantisme au Pays basque. Bien que privé de ses leaders charismatiques, dont Arnaldo Otegi, emprisonné depuis trois ans, le mouvement est ainsi parvenu à capitaliser le cessez-le-feu de l’ETA en accomplissant le processus inédit de transformation d’une défaite militaire en victoire politique. En votant majoritairement pour des partis défendant une plus grande autonomie pour le Pays basque, l’électorat a, de cette manière, confirmé la normalisation politique en cours dans la société basque, meurtrie par plus de cinquante ans de lutte armée.

Ce résultat électoral est à replacer dans le contexte de la crise financière. Alors que les Etats de l’Union européenne s’efforcent de restaurer leur crédibilité et s’engagent à une meilleure gestion budgétaire, les mouvements nationalistes européens profitent de leur faiblesse pour mobiliser autour de l’identité. Ainsi, en Ecosse, le Scottish National Party, fort de sa majorité au parlement écossais, vient de négocier un accord avec le Premier ministre britannique, David Cameron, pour convoquer un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse d’ici 2014. Quelques jours auparavant, une vague indépendantiste a déferlé en Flandres lors des élections municipales en Belgique. Le parti indépendantiste flamand du N-VA a même réussi à placer son leader à la mairie d’Anvers. En Espagne, la tension entre Madrid et Barcelone a atteint un degré rarement vu avec la démonstration de force des Indépendantistes catalans, il y a un mois, lors de la Diada, fête nationale en Catalogne. La décision d’anticiper les élections en Catalogne au 25 novembre et le résultat du scrutin au Pays basque du week-end passé ne font que renforcer les tensions nationalistes en Europe.

L’indépendance de la Catalogne et du Pays basque est-elle une chimère «qui accroît les divisions et rouvre les blessures», comme l’a suggéré le roi Juan Carlos, ou peut-elle constituer une véritable alternative pour ces régions? En Espagne, ce qui surprend, ce n’est pas tant la ferveur indépendantiste en Catalogne ou au Pays basque, fortement ancrée dans ces régions depuis la transition démocratique, mais bien le manque de pragmatisme du gouvernement espagnol face au défi séparatiste. En effet, au lieu de faire preuve de respect pour les positions souverainistes et d’accepter l’ouverture d’un débat démocratique sur le sujet, les représentants de l’exécutif préfèrent faire valoir le rapport de force, suggérant des méthodes d’un autre temps, comme le démontre la récente suggestion du ministre de l’éducation, José Ignacio Wert, «d’espagnoliser les élèves catalans». Le gouvernement s’arrime ainsi fermement à la Constitution comme seule formule possible pour maintenir unies les différentes identités nationales. L’argument est le même lors de chaque nouvel emballement nationaliste: le risque de morcellement de l’Espagne. S’ensuit une stérilité du débat politico-médiatique sur cette question opposant des rhétoriques déjà amplement connues.
Le processus de paix au Pays basque souffre du même déficit de pragmatisme politique. En effet, suite aux décisions du mouvement indépendantiste, depuis 2010, en faveur d’une résolution définitive du conflit, des signaux de paix sont aujourd’hui attendus de la part du gouvernement. Submergé par la gestion de la crise économique, celui-ci est resté très prudent devant ces évolutions, déclarant ne pas varier sa position politique de fermeté sur la problématique basque, exigeant, avant toute négociation politique, la dissolution de l’ETA. Pourtant, les élections de dimanche passé au Pays basque montrent que l’immense majorité des acteurs politiques et sociaux a compris que les chances de résoudre définitivement le conflit sont réelles. Ainsi, au Pays basque comme en Catalogne, à trop retarder le débat démocratique sur la souveraineté des nations d’Espagne, l’Espagne risque de provoquer une crise institutionnelle plus grave que la récession économique.
 

* Doctorant en Sciences de la communication et des médias à l’Université de Genève. Il consacre une bonne partie de sa thèse à la résolution du conflit basque.

Opinions Agora Mathieu Crettenand

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