Chroniques

Néo-patriotes

D’OUTRE-SARINE

S’il est un mot qui empoisonne le vocabulaire alémanique, c’est bien celui-là. A chaque votation possible, la Heimat resurgit avec son lot de montagnes originelles, de clans patriotiques, d’amour du travail, d’armes à la maison. A tel point que le groupe Art et Politique – qui mène des actions culturelles sur des questions de société – a empoigné sa boule à neige. Secoué fort. «Le concept est gangrené de valeurs conservatrices. Laissez tomber», ont jugé les uns. «Assez d’entendre les partis m’expliquer ce qu’est ma patrie», ont dit les autres. Les «Heimat-Abend» étaient nés. Ils se tiennent à Bâle la multiculturelle, jusqu’en mai au moins.
Dans ces soirées, non, on ne se retrouve pas entre soi au son d’un accordéon bien tempéré. On parle. Pour le musicien et comédien Dan Wiener – l’un des initiants, avec Bettina Eichin et Felix Schneider –, «ce qui est intéressant, c’est la confrontation des multiples patries qu’abrite chacun. La Heimat des conservateurs, qui n’existe qu’au singulier, ne correspond pas à la Suisse.» La soirée du 29 mars invite notamment à Bâle Hayhat Marty-El Bokeili, qui a vécu à Genève, au Caire, à Beyrouth et à Bâle, et étudié l’islamologie et le judaïsme: peu de chances que sa «Heimat» à elle soit monoculturelle. En fond de scène, une montagne sur grand écran aux prises avec la poussée géologique…
Deux autres soirées se demanderont si la patrie des femmes puise aux mêmes sources que celle des hommes; et si une Heimat qui se transforme en est encore une.
Une patrie, qu’est-ce que c’est? L’exclusion d’une autre ou une source d’énergie personnelle? Une géographie, une durée, un système de valeurs, des odeurs, une langue? Il y a quelques années, lorsque la Suisse votait sur la libre circulation des personnes, le même Dan Wiener et sa femme Maria Thorgevsky animaient une soirée consacrée à la votation, en Suisse allemande. «La patrie, c’est la langue. Faisons un jeu: ceux qui comprennent ce que nous chantons gardent leur passeport, les autres le rendent.» Ils ont chanté en français. Autant dire que ce soir-là, bien des passeports ont été déposés. Assez pour les donner à tout un contingent de migrants d’Afghanistan, autre pays montagneux et réputé clanique.

* Rédactrice au Courrier.

Opinions Chroniques Dominique Hartmann

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