Chroniques

Un grand Mani troubadour

D’OUTRE-SARINE

Il paraît qu’il captivait le public dès la première chanson. Et qu’il était toujours un peu gêné d’être là: un juriste, le «vrai» métier de Mani Matter, ça ne se met pas en scène… Ses chansons naïves en dialecte ont pourtant marqué plusieurs générations. Le chansonnier alémanique, né en 1936 et décédé accidentellement 36 ans plus tard, a fait carrière avec rien, dirait-on. Une jolie voix, quelques arpèges, des sujets banals trouvés dans le tram, chez le coiffeur, derrière un sourire blond. Des mélodies empruntées parfois: celle de «La Ballade des dames du temps jadis» de Brassens est devenue «Dr Rägewurm» (Le Ver de terre) chez Matter.
En Suisse allemande, personne n’aime pas Mani Matter – on l’aime ou on ne le connaît pas. Il est enseigné à l’école, revisité en versions rock ou pop: le groupe ZüriWest l’a repris, Stephan Eicher l’a repris. Heidi Happy, intimidée, reprend ceux qui l’ont déjà repris. Et les chanteurs suisses romands Sarclo, Simon Gerber et Le bel Hubert lui ont rendu hommage au Corbak Festival.
C’est peut-être parce qu’il maîtrise cet art de rien du chansonnier où claquent les syllabes: hilarantes, quand Mani Matter s’acharne à faire rimer arabe et suisse allemand – et y parvient –, percutantes, quand elles retracent par le menu une représentation de Guillaume Tell qui finit dans le sang.
Ou parce que ses chansons, doucement mélancoliques en apparence, sont mordantes envers le conformisme helvétique. Le chansonnier a aussi été un penseur engagé…
Ou alors parce qu’il débarrasse le suisse-allemand de ses empâtements, faisant résonner ses rondeurs rocailleuses en leur insufflant une vitalité inattendue dans un ferme attelage de syllabes et de sons. Et fouette cocher!
C’est peut-être enfin qu’il a, comme aucun autre, rendu hommage aux timides, à ceux qui ont un peu honte d’exister, comme le suggère le succès de Stephan Eicher lorsqu’il reprend «Hemmige». Ceux à qui la gêne coupe la voix et qui ne joueront pas des coudes dans le monde des battants. S’ils savaient: la timidité, c’est ce qui distingue l’homme du singe, dit Mani Matter, le chansonnier philosophe.
Après le Musée national suisse de Zurich l’an passé, le Forum de l’histoire suisse de Schwytz et le Musée historique de Berne lui rendent hommage respectivement en mars et en octobre.

* Rédactrice au « Courrier ».

Opinions Chroniques Dominique Hartmann

Connexion