Chroniques

L’Anglo-Schwizerdütsch, même plus peur

D’OUTRE-SARINE

Alors vraiment, vous trouvez le suisse-allemand difficile à comprendre? Vous n’êtes évidemment pas le seul, ni la seule. On a assez glosé sur l’insurmontable difficulté de cette langue: on risquerait l’entorse linguale à le parler; il faudrait jeter les enfants dedans tout petits pour habituer leur oreille; etc. Franchement, tout ça, c’était avant. Ou alors dans le suisse-allemand littéraire, par exemple chez l’écrivain bernois Guy Krneta: «Öppe füf Minute syge si gschtange, dert im Gang, u heigen enang eifach aagluegt.» («Ils sont restés là bien cinq minutes, dans le couloir, à juste se regarder») Là, même avec de solides rudiments d’allemand, je ne vois pas…

Mais aujourd’hui, le suisse-allemand de tous les jours est devenu très facile. A condition de savoir l’anglais. Vous dites, ce n’est pas la même chose? Vous seriez surpris. Voyez plutôt.  Heini et Heiri vont en bateau: «Es isch super cool uf em Lake z’surfe!» («C’est génial de se promener sur le lac!») Sur huit mots, quatre seulement sont en suisse-allemand, quatre en anglais. Autre exemple, lors du retour au boulot, un lundi matin: «Bisch am Week-End go game?» («Tu as été jouer, ce week-end?»): deux sur cinq. Un peu étrange, soit, la question prend tout son sens quand on sait que le jeu de société est une véritable institution outre-Sarine… Avec son nouveau slogan officiel, la Ville de Zurich frappe fort: «World Class. Swiss Made». Et que dire de cette perle, glanée en conférence de presse: «Der Quickscan isch ä Tool für Win-Win-Potentiale im Sustainability-Bereich»: 4 substantifs sur 2 sont anglais.

Non vraiment, avec une base minimale de Schwizerdütsch et un bon vocabulaire d’anglais, ça ne fait jamais plus qu’une demi-langue à apprendre. Surtout que le français a lui aussi sa place dans le parler alémanique: telefoniere, Apero, Rendez-vous, partout, Menage à trois, etc. Certains se réjouissent de cette évolution, d’autres un peu moins: «Elle prouve la merveilleuse souplesse de notre langue, notre ouverture au monde!» s’enthousiasment les uns. «Souplesse invertébrée, dénaturation risible, oui…», ronchonnent les autres.

Mais bon. Pour beaucoup, le plus simple reste, passé la Sarine, de se brancher définitivement sur l’anglais. Et comme les Suisses alémaniques sont doués en langues, qu’ils prononcent plutôt bien, ça marche. Les Romands anglophile se consoleront en savourant l’une des plus jolies importations d’outre-Manche, graphique, celle-ci: pour envoyer des bises à leur ­interlocuteur, nos compatriotes concluent leur message d’un xxx, universellement décodable, celui-là.

Alors xxx et bon été!

*Rédactrice culturelle au Courrier.

Opinions Chroniques Dominique Hartmann

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