LE POLYÈDRE GUATÉMALTÈQUE
Le Guatemala est comme un polyèdre, composé de tant de facettes qu’on a parfois du mal à croire qu’il s’agit toujours du même pays. Il n’y a qu’une seule constante: l’injustice. Celle-ci se manifeste par une inégalité plurielle qui englobe plusieurs dimensions se recoupant entre elles: une dimension sociale avec une discrimination basée sur la richesse; une dimension ethnique car il existe un fossé entre les réalités des indigènes d’origine maya et celles des métis; et enfin une dimension géographique avec un clivage ville – campagne.
L’inégalité sociale est criante: 2% des habitants contrôlent plus de la moitié des richesses du pays, ne laissant presque rien à la grande majorité de la population. Conséquence logique: plus de la moitié des habitants vit dans la pauvreté. Ainsi, par exemple, des dizaines de Guatémaltèques risquent chaque jour leur vie pour émigrer aux Etats-Unis. Par ailleurs, ces dernières années, l’argent que les immigrants envoient au Guatemala est devenu la principale source de revenus du pays. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), 1,4 million de Guatémaltèques ont émigré et envoient environ 4 milliards de dollars par an à leurs familles restées au pays.
Le dénuement touche d’abord les indigènes d’origine maya. Selon le dernier rapport sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement, un tiers de la population indigène survit avec moins d’un dollar par jour alors que seulement un métis sur dix vit en dessous du seuil de pauvreté. De fait, le style de vie d’un indigène vivant en zone rurale diffère tant de celui d’un métis vivant en zone urbaine que l’on peine à imaginer qu’ils vivent dans le même pays! Ainsi, alors que dans les zones rurales la sécheresse peut ruiner une récolte, et par conséquent, provoquer la famine et le décès des enfants, à Ciudad de Guatemala, la capitale, on trouve des maisons avec piscines et hélicoptères privés.
L’exemple du paysan maya Roberto Che, père de sept enfants et bénéficiaire du projet appuyé par l’ONG suisse Enfants du Monde (lire ci-dessous) est édifiant. Nous arrivons dans son village de Gancho Caoba au Nord du Guatemala après près de quatre heures en bus et en voiture sur des routes serpentées en mauvais état et une heure de marche à travers la jungle. C’est l’une des nombreuses communautés mayas isolées du Guatemala, où l’accès aux services de santé, à l’éducation supérieure ou à des perspectives de travail ne sont que lointaines et difficiles.
Outre l’isolement, le village où habite Roberto Che rencontre d’autres problèmes graves. Un quart des enfants souffrent de malnutrition. L’actuel gouvernement a lancé des programmes afin de pallier cette situation, dont un s’appelle «Mi familia progresa» («Ma famille progresse»). Ce projet récompense d’un montant de 300 quetzals (37 dollars) par mois les mères menant leurs enfants au centre de santé et à l’école.
Mus par l’espoir d’offrir une meilleure qualité de vie à leurs enfants et de bonnes perspectives d’avenir, beaucoup de personnes viennent habiter en ville où ils découvrent une autre facette du Guatemala. En ville, il n’y a pas de pénurie d’aliments, les habitants ont accès aux écoles et aux hôpitaux. Par contre, la violence frappe aveuglement, en particulier dans les quartiers marginaux où arrivent les immigrés internes. Ce phénomène est plutôt récent. Avant 1997, l’année de signature de l’accord de paix, la violence était omniprésente en zone rurale, en particulier dans les montagnes. Pendant les trente-six ans de guerre civile, surtout dans les petits villages, plus de 200 000 paysans ont été tués par l’armée et des groupes de guérilleros.
Aujourd’hui, dans le Département de Guatemala (3 millions d’habitants), dix-sept assassinats ont lieu chaque jour. Vols, extorsions et balles perdues sont monnaie courante. Il y règne un climat d’insécurité créé par les bandes, le crime organisé et les groupes de narcotrafiquants installés dans le pays.
L’histoire de Paula Chicoy, qui voici trois ans émigra avec son mari et ses enfants du Département de Quetzaltenango vers la capitale, est malheureusement assez commune. Le rêve d’une vie meilleure, l’espoir de changer radicalement leur situation s’est transformé en cauchemar. Aujourd’hui, Paula Chicoy regrette son choix. Elle pose sa main sur sa bouche et les larmes couvrent son visage aussitôt. «Nous n’aurions pas dû venir», dit-elle, la voix cassée. Son mari a été assassiné il y a quelques mois et elle doit maintenant entreprendre le voyage de retour vers le village, avec ses enfants. L’époux de Paula avait trouvé un travail à la capitale comme chauffeur de bus urbain.
Il s’agit d’un des métiers les plus dangereux dans cette ville. Cela fait plusieurs années que deux gangs – «La mara 18» et «Los Salvatruchas» – extorquent les chauffeurs de bus pour qu’ils leur paient chaque jour une somme afin de ne pas être molestés ou tués. Si les chauffeurs ne réussissent pas ou ne veulent pas collecter la somme requise, ils finissent parfois par être tués au volant de leur bus. Le mari de Paula est une victime de plus. En 2009, 149 chauffeurs ont été assassinés.
En dépit de ce panorama peu encourageant, le Guatemala a réussi des avancées ces dernières années, dont la plus importante est la réduction de plus de moitié du taux de mortalité infantile. De plus, de nombreux projets ont été menés pour éradiquer l’analphabétisme. Par exemple, dans certains villages, un effort conjoint impliquant tous les habitants et des organisations non gouvernementales a été mené et les plus jeunes se sont occupés de l’éducation des grands-parents.
Une autre avancée importante a été la création de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala en 2007. Cet organisme, dont le mandat se terminera en septembre 2011, aide le gouvernement dans sa lutte contre la corruption ainsi que contre les mafias. Il a réussi à mettre en place un processus beaucoup plus transparent et démocratique en ce qui concerne l’élection des magistrats, juges, procureurs et du procureur général.
Ces succès, certes limités, nous permettent d’apercevoir encore une autre facette du polyèdre guatémaltèque: celle d’un pays oeuvrant pour établir la justice et diminuer les inégalités au sein de sa population. I
* journaliste à El Periódico, journal national guatémaltèque. Traduction: Enfants du Monde.