Contrechamp

LES ROUAGES GRIPPÉS DE LA SANTÉ

GRIPPE H1N1 – La façon dont la grippe A(H1N1) a été gérée par l’OMS et les autorités nationales de santé est alarmante. Bien plus alarmante en tout cas que le virus lui-même, selon le rapport de la commission santé de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui sera examiné le 24 juin.

Gaspillage d’argent public, distorsion des priorités de santé, propagation de peurs injustifiées: tels sont les effets secondaires de la gestion discutable de la grippe H1N1 par les autorités compétentes. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), qui ausculte l’actualité sous l’angle du respect de la démocratie, a décidé de poser ouvertement ses principales questions critiques. Son but premier: restaurer la confiance du public dans les recommandations officielles. Une confiance indispensable en cas de future pandémie plus grave que le H1N1. Voici, en résumé, l’essentiel de ses conclusions.1
Nos questions sont nées d’un constat: celui du décalage entre l’étendue des mesures prises et la faible intensité du virus. Ainsi, dès le mois d’avril 2009, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a relevé très rapidement les niveaux d’alerte pandémique, alors même que la nouvelle grippe apparaissait déjà bénigne. Le 11 juin 2009, sa directrice générale Margareth Chan décrétait que «tous les critères scientifiques définissant une pandémie de grippe sont réunis», tout en admettant qu’«au niveau mondial, la mortalité est faible.» Ce décalage s’est poursuivi dans le maintien, envers et contre l’évolution réelle de la maladie dans le monde, de la phase 6 d’alerte pandémique.

Dès l’été 2009, des experts indépendants avaient pourtant mis en garde contre une exagération de la pandémie de grippe en cours.2 Les chiffres dont on dispose pour la France montrent l’ampleur de la surévaluation: les 312 décès et 1334 cas sévères enregistrés ne pèsent pas lourd face aux 365 millions d’euros dépensés pour des vaccins dont seuls 11% ont été utilisés.

Face à ce gâchis, la commission santé de l’APCE regrette que l’OMS n’ait pas été réactive à réviser sa position. Elle déplore aussi que l’organisation ne reconnaisse pas le changement apporté à sa définition d’une pandémie. Car le passage à la phase 6 n’a été possible que parce que l’OMS a modifié sa description des phases d’alerte pandémique… en mai 2009.3 Alors que la précédente définition du seuil d’alerte maximum faisait référence à «un nombre considérable de cas et de décès»4, seuls subsistent les critères d’étendue géographique, de nouveauté du virus et de transmission interhumaine.

Il n’a pas davantage été possible d’obtenir de l’OMS le nom des membres du comité d’urgence qui a conseillé Mme Chan dans l’évaluation de la gravité du virus et dans la décision de déclaration du niveau 6 de la pandémie. Impossible, donc, d’analyser d’éventuelles collusions ou autres conflits d’intérêt. Or, on sait que plusieurs membres de l’OMS entretiennent des liens professionnels avec des groupes pharmaceutiques. Une enquête du British Medical Journal (BMJ) et du Bureau of Investigative Journalism de Londres le révèle: certains des experts qui ont participé à la rédaction des lignes directrices de l’OMS face à une pandémie grippale ont reçu des rémunérations de Roche et de GlaxoSmithKline, impliqués dans la fabrication d’antiviraux ou de vaccins contre la grippe.5

Or, en l’occurrence, le passage à la phase 6 a permis aux contrats de commande de vaccins de devenir effectifs. Plusieurs pays européens avaient conclu avec des pharmas des contrats dits «dormants», qui n’attendaient qu’une déclaration de pandémie pour se réveiller. Une déclaration fort opportune pour les fabricants: la banque d’investissements JP Morgan estime entre 7 et 10 milliards de dollars les bénéfices réalisés en 2009 grâce à la grippe H1N1. Certains experts se sont pourtant interrogés sur la nécessité de mettre au point «à la hâte» des vaccins spécifiques contre la grippe H1N1, deux à trois fois plus chers que ceux contre la grippe saisonnière. La question demeure donc posée: y aurait-il eu, dans le cas H1N1, abus d’influence des entreprises pharmaceutiques?

Autre constat critique: la stratégie de communication de l’OMS a péché par une dramatisation excessive. Témoin, les accents dramatiques utilisés pour dépeindre le virus: «il est là, tapi», «il est possible que le spectre clinique de la maladie s’étende d’une affection bénigne à une pathologie sévère.»6

Au printemps 2009, la grippe porcine qui pointait le bout de son groin a été comparée à la grippe espagnole de 1918. A tort, puisque le contexte de la Première Guerre était fort différent, en présence de populations affaiblies et en l’absence d’antibiotiques. Problème: comme le souligne le rapport, «le principe de précaution peut alimenter un sentiment général d’inquiétude et de malaise au sein de la population». Certes, en situation d’incertitude, la prudence s’impose. Mais cette même prudence requiert de tenir des propos nuancés et de ne pas semer une panique inutile, voire contre-productive.

Or, comme l’affirme Gerd Gigerenzer, directeur du Centre pour le comportement adaptif et la cognition de l’Institut Max Planck, «le problème n’est pas tant qu’il est difficile de communiquer l’incertitude, mais que l’incertitude n’a pas été communiquée.»7 Une certitude, en revanche: les médias ont, dans leur majorité, contribué à enfler la panique. La surmédiatisation de la grippe H1N1 amène une nouvelle question: l’OMS n’a-t-elle pas un intérêt vital à occuper le terrain médiatique en raison de son système de financement?

Un financement dont la partie congrue (20%) est fixe, mais dont 80% provient de «contributions volontaires principalement destinées à un usage précis»8. D’où l’obligation pour l’organisation de conclure des partenariats avec le secteur privé et de privilégier des actions à forte visibilité, qui ont la préférence des Etats donateurs.

A travers son rapport, l’APCE n’entend pas prendre qui que ce soit en grippe. Surtout pas l’OMS, laquelle a du reste créé un comité chargé d’évaluer sa gestion de la pandémie d’ici l’automne. Notre but n’est pas d’avoir une OMS faible mais, au contraire, une OMS fiable, qui soit une référence solide en matière de santé publique. D’après sa Constitution, l’OMS a pour objectif d’amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible. Elle s’emploie également à former une opinion publique éclairée en matière de santé. La surenchère des mesures et l’intransparence des procédures vont à l’encontre de ces objectifs. Il y a, à l’heure actuelle, quelque chose de grippé au royaume de la santé… OMS, institutions européennes, gouvernements, citoyennes et citoyens du monde, nous avons toutes et tous intérêt à y remédier. I

* conseillère aux Etats, présidente de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille de l’APCE.

1 La gestion de la pandémie H1N1: nécessité de plus de transparence. Rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (ci-après «la commission»). Rapporteur: M. Paul Flynn. Doc. 12283. Strasbourg, 7 juin 2010.

2 Voir les interviews avec l’épidémiologiste Tom Jefferson (Cochrane Collaboration): «Toute une industrie attend une pandémie», Der Spiegel, 21 juillet 2009, et avec le Pr Marc Gentilini, selon lequel on assiste à une «pandémie de l’indécence», Le Monde, 06 août 2009.

3 C’est ce qu’a déclaré le Dr Wolfgang Wodarg lors de l’audition publique de la commission le 26 janvier 2010.

4 Citation recueillie par le Dr Tom Jefferson (Cochrane Collaboration) et présentée lors de l’audition publique de la commission le 29 mars 2010.

5 «WHO and the pandemic flu ‘conspiracies’», Deborah Cohen et Philip Carter, site internet du BMJ, 4 juin 2010.

6 Déclarations du 15 mai et du 29 avril 2009.

7 Deborah Cohen et Philip Carter, op. cit.

8 Mise en oeuvre du budget programme: gestion et alignement des ressources. Rapport du Comité du Programme, du Budget et de l’Administration du Conseil exécutif de l’OMS, 17 décembre 2009.

Opinions Contrechamp Liliane Maury Pasquier

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