Contrechamp

CITOYENNETÉ GENEVOISE POUR LES ÉTRANGERS

DROITS CIVIQUES – En rupture avec la frilosité ambiante, une proposition constitutionnelle initiée par la coordination VIVRe vise l’inscription du droit de vote et d’éligibilité des étrangers aux niveaux cantonal et communal dans la future Constitution genevoise.

Une proposition collective demande d’inscrire dans la future constitution genevoise trois articles reconnaissant la multiculturalité du canton, l’apport historique et actuel de la migration à son essor économique et culturel, et accordant aux résidents après cinq ans le droit de vote et d’éligibilité dans les affaires cantonales et communales1. Cette réaction de la société civile répond à l’étonnante attitude de la commission de la Constituante chargée des droits politiques. Ses 17 membres se sont divisés par moitié2 au sujet des droits à l’échelon cantonal. Le rapporteur3 souligne que cela vaut refus d’aller au-delà de l’extension à l’éligibilité du droit de vote communal acquis de justesse4 en 2005.
Les initiateurs de la pétition, surpris d’une telle frilosité pour une charte censée fixer un siècle d’horizon politique républicain, s’attachent depuis à renverser cet obstacle à la participation de résidents acquittant l’impôt. Regroupés en coordination ViVRe, «Vivre, Voter, Représenter», soutenus par de nombreuses associations et syndicats, ils s’activent à collecter des signatures témoignant de l’intérêt pour l’extension de la citoyenneté qu’ils proposent. En dépit du coup d’éclat à la Constituante du 25 mai5, où le sectarisme puéril d’une majorité remet en cause l’existant constitutionnel, ils espèrent faire état de premiers résultats lors de la prochaine plénière consacrée aux droits politiques.
La diversité, tremplin pour Genève
Cet article discute des réalités genevoises qui confortent une démarche pour une fois dégagée de l’arithmétique électorale immédiate et calée sur des perspectives plus pérennes que les enjeux d’une législature. Il réfute l’image de boutefeux indifférents au processus constituant que colle aux pétitionnaires ceux qui combattent leur proposition. Ces critiques, taxant d’audace insensée le refus de saucissonner les droits entre ville et canton, occultent le parfum censitaire de la représentation politique actuelle d’un canton avec plus d’un tiers d’étrangers et une même proportion de votants. Il est urgent de dénoncer le jeu irresponsable de qui flatte à mots couverts, sous prétexte d’éviter de la choquer par quelque témérité démocratique, une opinion saturée de combats de coqs et travaillée par les tenants de la xénophobie.

Au-delà d’une chute démographique des nations occidentales que seule une immigration de ressortissants en provenance de pays moins favorisés peut enrayer, la vitalité multiculturelle de Genève, passée et présente, interpelle. Même la feue Action Nationale, projetant de raboter la population étrangère à 10%, en concédait 25% en 1968. L’exposé des motifs de la pétition contient des arguments chiffrés6 qu’il n’est pas besoin de répéter.

Pourtant, certain membre clé de la commission se déclare dans la presse7 «dérangé» par la revendication d’une citoyenneté locale complète, effet d’une xénophilie qu’il dit redouter autant que la xénophobie. On préfèrerait trouver les politiques responsables plus perturbés du fait que près de 40% de qui nous côtoyons soit privé de toute activité civique sur le plan cantonal que par le harcèlement démocratique qu’invariablement on nous prête.

Regretter que son électorat ne soit pas «prêt» à reconnaître des droits élémentaires et refuser de le brusquer, est-ce signe de prudence ou bien d’un conservatisme le confortant dans une logique du quant à soi et de l’entre nous?

Se glorifier de ne point revenir sur la conquête du droit de vote communal et ne recommander que son extension à l’éligibilité mérite-t-il le label d’ouverture? Rétropédalage de mauvais perdants ne fait pas largeur de vue et offre à une extrême-droite en turbulence8 de jouer même plus ouvert.

Quant à l’innovation, qu’il soit permis d’en rire. Qui s’étonna que des adversaires de la mondialisation dérégulée veuillent lever des barrières antidémocratiques psalmodie ensuite9, à propos d’éligibilité communale, le plain-chant d’une introuvable réciprocité universelle10. Rassurons ces inquiets, la république genevoise est plutôt à la traîne à domicile11, et les quelque deux tiers de ressortissants de l’UE12, qui auraient voix au chapitre municipal partout ailleurs dans l’union, leur sauront gré de se voir ignorés. Genève avance-t-elle à reculons?
Chantage à la naturalisation
Personne ne séjourne de manière prolongée dans notre canton sans intention individuelle ou familiale d’y faire durablement son nid. Une retraite, au risque de la désillusion, au pays d’origine n’est pas l’apanage des étrangers et nombre de Suisses s’expatrient pour leurs vieux jours. On ne voit pas pourquoi cela devrait être payé, la vie active durant, par une privation de droits civiques. Si l’on se réfère au principe étasunien, les résidents devraient avoir droit immédiat au contrôle de l’utilisation de leurs deniers dès leur soumission à l’impôt cantonal. Les assimiler aux catégories d’étrangers privés de droit permanent au séjour, saisonniers d’antan ou frontaliers d’aujourd’hui, paraît contraire à toute politique raisonnable d’insertion. Même pour qui vient avec la ferme intention de repartir à brève échéance exercer ailleurs13, l’exclusion de toute activité citoyenne au-delà d’un premier permis de 5 ans14 ne peut qu’inhiber un potentiel d’intégration reconnu par la commission fédérale des étrangers. Chipoter entre ce délai et ceux imposés aux autres catégories de séjour paraît plus dérisoire encore qu’indigne.

Pourquoi, en lieu d’une fragmentaire citoyenneté cantonale, ne pas pousser les étrangers résidant de manière durable dans notre pays à la naturalisation? Les droits politiques sont partout liés à la nationalité, voilà le b-a-ba que nous servent ceux qui n’avancent qu’à reculons vers des droits civiques locaux. C’est ignorer les évolutions contemporaines des citoyennetés où mobilité des personnes, institutions internationales, entités régionales ou fédératives imposent souplesse et enchevêtrement de subsidiarités.

En Suisse, où règne le droit héréditaire dit du sang, l’acquisition du passeport est notoirement plus rude qu’ailleurs, là où il s’acquiert par naissance ou en moins d’années de résidence15 qu’ici le droit de vote communal. En dépit d’aménagements genevois montés en épingle et des années entre dix et vingt comptant double, douze ans de résidence entre autres avant de songer à la naturalisation est fait pour décourager. On ne s’explique d’ailleurs pas autrement la surproportion d’étrangers dans nos frontières16. Sans rapport avec l’engagement civique sur lieu de résidence, la naturalisation est un choix qui, obligations militaires accomplies, confère protection hors du territoire et couronne une identification culturelle doublée d’un renoncement, volontaire ou contraint, à des attaches nationales antérieures.

Plus la barre de l’identité nationale est placée haut, plus le besoin de modalités alternatives de citoyenneté à valeur intégrative se fait sentir. Séparer deux registres de civilité et d’appartenance est alors naturel, sans que le premier soit un marchepied pour le second. Ceux qui fustigent les avocats de la citoyenneté cantonale de viser la nationale tout en la dévalorisant brillent par inconséquence. Attribuer le faible taux de naturalisation au désintérêt des étrangers pour la chose publique revient à parler à leur place et cache mal l’hostilité à leur apport. Dernière incongruité, arguer des particularités de la démocratie directe, non point pour l’étendre aux concernés, mais pour s’en réserver le privilège. S’arc-bouter sur la nationalité, revendiquer l’alignement sur le moins offrant des pays alentour sont les ingrédients de ce qu’il faut bien qualifier de chantage.
Commune contre canton, guerre de tranchées
En Suisse, des trois niveaux d’articulation démocratique, le cantonal est clairement le lieu de la souveraineté locale que le caractère fédératif de l’agrégat volontaire d’adhérents cantonaux amplifie. Assemblées et exécutifs communaux, jaloux de leurs prérogatives, y sont souvent réduits à des compétences administratives subordonnées, notamment pour la fiscalité. Sans équivalent à l’étranger, l’échelon cantonal rend futile toute comparaison à l’international.

La barrière érigée entre commune et canton paraît dérisoire dans les cantons aussi urbains que Genève ou Bâle-Ville. Des partisans de l’unification administrative sont malvenus d’arguer de limites citoyennes entre quartiers ou zones périurbaines. L’utilisation des deniers publics en matière de transports, d’aménagement, de protection sociale, de santé publique, d’éducation ou de culture justifie-t-elle un apprentissage si différencié de la démocratie qu’il faille la saucissonner entre ville et campagne pour la seule édification politique de nos congénères étrangers?

Un observateur impartial des moeurs helvétiques constatera qu’il n’y a rien de plus dans les réticences rencontrées jusqu’ici par nos propositions que, au pire une hostilité à l’intégration des étrangers à la vie civique, au mieux une dangereuse concession aux partisans d’une politique xénophobe par crainte de les chatouiller sur leur terrain de prédilection.

Si quelque quatre mille signatures engrangées en trois semaines, étrangers et Suisses confondus, démentent les mauvais augures qualifiant notre tentative d’«autogoal», si l’humeur combative de la société civile, indépendamment du soutien, sans lequel rien n’est possible, des institutionnels, dessille les yeux d’une Constituante s’élevant au-dessus de calculs politiciens de majorités convenues et la mènent à reprendre des propositions frappées au coin du bon sens démocratique, la coordination ViVRe aura atteint son but, et pourra songer à se dissoudre avec le sentiment du devoir accompli. Il est encore temps de mettre le cap sur l’espoir. I

*Au nom de la coordination VIVRe.

1 Texte de la proposition avec liste des soutiens mise à jour téléchargeable sous http://kultura.ch/new/images/ Propositioncollective.pdf

2 En fait 8 pour, 8 contre et 1 abstention.

3 Murat Julian Alder, élu Radical Ouverture à la Constituante.

4 L’initiative genevoise «J’y vis, j’y vote» accordant aux étrangers le droit de vote communal après 8 ans de séjour légal a été acceptée en 2005 par 52,3% des voix sur 45% de votants, l’éligibilité refusée à 52,8%.

5 Rechignant même à l’égalité des genres, cette caricature du clivage droite-gauche a poussé la minorité à quitter la salle et conduit à la panne sèche faute de quorum. Faisant litière des velléités consensuelles, elle risque d’entraîner par le fond le travail d’un an des commissions.

6 Voir aussi le groupe Facebook du collectif: http://www.facebook.com/group.php?gid=116794668352849&v=info

7 Le Temps du 19 avril 2010, interview du rapporteur de la commission, M. Murat-Alder.

8 Le souverainiste notoire Soli Pardo s’opposant à des droits au rabais à «Genève à chaud» du 29 avril 2010.

9 Michel Barde, journal Léman Bleu, 29 avril 2010.

10 Sur le sujet de la réciprocité des droits politiques aux non-nationaux, voir http://fr.wikipedia.org/wiki/ Droit_de_vote_des_%C3%A9trangers

11 Par rapport notamment aux cantons de Neuchâtel, Jura, Fribourg et Vaud.

12 115 000 sur 170 000, selon Maurice Gardiol.

13 Cas des étudiants, par exemple.

14 Durée du permis B accordé aux citoyens de l’UE/AELE justifiant d’une durée de travail minimale de 30 mois. Depuis le traité de Rome (Art. 19), les citoyens de l’UE jouissent, à l’égal des nationaux, du droit de vote et d’éligibilité municipal.

15 Belgique, Canada, Nouvelle Zélande exigent 3 ans, l’Irlande, 1 an à la demande + 4 sur les 8 ans précédents.

16 Par comparaison aux pays où la majorité compterait depuis belle lurette parmi les nationaux.

Opinions Contrechamp Dario Ciprut

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