Contrechamp

«STOP AUX CONSULTATIONS POPULISTES»

INITIATIVE ANTI-MINARETS – Face à l’initiative populaire contre la construction de minarets, qui sera soumise au peuple le 29 novembre, les opposants donnent de la voix. Argumentaire de Dario Ciprut, du comité de la Coordination contre l’exclusion et la xénophobie.

L’Union démocratique du centre (UDC) et l’Union démocratique fédérale (UDF) invitent à inscrire dans la Constitution «La construction de minarets est interdite». Voilà trente ans que ces milieux exploitent, par plus de quinze initiatives fédérales à leur actif, la peur de l’autre. Surpopulation étrangère avant-hier, naturalisations massives et invasion de réfugiés hier, islamisation rampante aujourd’hui, tout leur est prétexte à gonfler leur stock électoral. Premier parti du pays, ils sont parvenus au faîte de leur nocivité politique en instrumentalisant les angoisses populaires, et ont achevé de saper l’image de la Suisse en matière d’accueil et de droits des étrangers.
En 2004, MM. Blocher et Schluer ont réussi à faire rejeter le projet de naturalisations facilitées des jeunes en brandissant l’épouvantail de la «surpopulation musulmane» et peignant Ben Laden en Helvète. En 2006, ils font encore passer le durcissement du droit d’asile et des étrangers. En 2008, ces pourfendeurs de «pieuvres» et de «moutons noirs» voient leur chef évincé du gouvernement et trébuchent enfin. Leur manoeuvre pour livrer les naturalisations à l’arbitraire communal n’a convaincu que 36% des votants et les Schwyzois. Ils croient aujourd’hui tenir une revanche en s’activant contre les minarets, présentés comme des instruments de la guerre sainte contre l’identité chrétienne helvétique.

Ne laissons plus des milieux qui se soucient comme d’une guigne du bien-être et de la sécurité de notre pays faire parler d’eux en diabolisant une minorité vulnérable. Après les requérants d’asile et les étrangers, ce sont les musulmans qui en font les frais. A quand le jour où tout un chacun, en raison de son appartenance à tel ou tel groupe, deviendra l’otage de leurs ambitions politiques?

Cette fois, initiants mis à part, Eglises et partis nationaux combattent unanimement l’initiative. Ne laissons pas passer cette chance de changer une donne qui a déjà tant nui à notre démocratie. Seul un refus massif permettra d’en finir avec le prurit des initiatives xénophobes.

Si les chrétiens peuvent construire des clochers, pourquoi priver les musulmans de construire des minarets? Notre pays et ses voisins n’ont que trop souffert de guerres intestines impitoyables dans le passé. La garantie de la liberté de croyance par la Constitution et le Droit international est un précieux acquis historique.

Synagogues israélites, basiliques orthodoxes, temples bouddhistes, espaces de réunion pour associations de convaincus ou sceptiques en tous genres doivent être autorisés s’ils respectent des normes égales pour tous. Le droit à des lieux de culte propres à l’exercice de la liberté de croyance est indispensable à la paix religieuse et civile.

Les initiants prétendent tolérer les mosquées mais non les minarets, jugés offensifs. Cet argument spécieux est démenti par leurs campagnes répétées contre le risque d’invasion, la démographie galopante des musulmans et autres fantasmes. A les suivre, il faudrait d’urgence décupler les mosquées, avec ou sans minarets. Si la lettre du Coran ne prescrit pas les minarets, le choix, par une communauté, des symboles publics de sa foi ne saurait être tributaire d’interprétations partisanes de tel ou tel symbole. L’appel de fidèles du haut du minaret n’est pas réclamé ici, mais serait-il plus choquant que celui de cloches appelant à l’office? Le croissant n’est pas plus agressif que la croix, l’étoile de David, le lotus ou la faucille et le marteau.

Les seules limites à mettre à l’exercice d’une foi ou conviction quelconque sont que son exercice n’entrave pas celui d’une autre, et que les adhérents soient libres de leur affiliation. Ces dispositions démocratiques, violées par des sectes, sont respectées par les communautés islamiques en Suisse.

Pourquoi cette levée de boucliers contre un symbole banal de la troisième communauté religieuse du pays? Tout ce bruit pour quatre à cinq minarets et quelque 350 000 musulmans1! C’est que l’islam est aujourd’hui la cible préférée des xénophobes voulant redorer le blason terni de la lutte contre toutes les catégories d’étrangers!

La technique UDC est éprouvée. En 2004, la formation extrapolait l’afflux de réfugiés ex-yougoslaves des années 1990 pour prétendre que le nombre de musulmans doublait tous les dix ans et qu’ils seraient dans trente ans majoritaires en Suisse! Effaroucher les tenants de valeurs chrétiennes en faisant croire qu’elles vont céder sous les coups de boutoir d’immigrés musulmans est un ressort constant de la démagogie udéciste. Déguisés en défenseurs du peuple, dénonçant laxisme et défaitisme de l’establishment politique, ces éructeurs jouent aux opposants d’une politique d’accueil qu’ils ont largement inspirée.

Cette infamie a pris le relais de l’antisémitisme explicite d’antan, discrédité et marginalisé par les enjeux extérieurs du conflit israélo-arabe. La querelle sur la Réforme étant enterrée de longue date, les amateurs de croisades exploitent, pour harceler une minorité à leur portée, le terrain fertile légué de l’effondrement soviétique et des attentats du 11-Septembre, où des intégrismes en miroir guerroient au nom de civilisations soi-disant irréconciliables. L’Islam domine ou s’étend dans des bassins de pauvreté perclus de guerres, encore fragilisés par la crise, qui fournissent en réfugiés une Europe qui se barricade. Blancs comme noirs, majoritairement musulmans, ils alimentent les populations ghettoïsées des ex-métropoles coloniales et l’immigration de travail indispensable à nos économies. Nos racistes locaux, comme les prédicateurs en quête de fidèles, se jettent sur cette proie de choix pour inquiéter le résident en amalgamant musulman, islamiste et terroriste.

Pis, les différences entre moeurs des résidents et des arrivants offrent aux incendiaires de l’UDC de quoi leur reprocher d’inférioriser les femmes. Cette partialité évidente d’ex-contempteurs du vote féminin devrait suffire à discréditer leur usurpation. Ils reçoivent hélas le renfort de laïcistes ou féministes locaux montant en épingle les préconisations de dignitaires musulmans à des ouailles consentantes ou intimidées. Vestimentaires, style hijab ou burkini, ségrégationnistes, style piscines sexuées, ces revendications choquent à bon droit la plupart d’entre nous, comme le devrait l’exigence de virginité pré-maritale ou la condamnation du préservatif. Faut-il pour autant crier avec le loup à l’atteinte mortelle à nos convictions permissives ou égalitaires? Faut-il en prétexter pour exclure de l’espace démocratique des croyants qui ne cherchent pas à illégalement imposer leurs vues? Des intégristes d’un nouveau genre veulent, sous couleur de progressisme, à tout prix légiférer dans ces domaines et s’indignent de l’accusation d’islamophobie2 qu’on leur renvoie. Ils protestent n’en avoir qu’aux dispositions rétrogrades qu’ils repèrent dans le Coran, les hadiths, la charia ou les pratiques de pays islamistes théocratiques. Se cabrant devant toute revendication identitaire assimilée au communautarisme, ils alimentent néanmoins de leurs passions unilatérales les préjugés de ceux qui ne voient que vivier à terroristes partout où, faute d’accueil et de considération, règne le désespoir.

Sincères ou retors, ces exégètes d’une religion étrangère font le lit d’une variante de xénophobie qu’ils devraient combattre à nos côtés. Un combat où la liberté de professer des religions est indissociable de celle de les critiquer pour les pratiques qu’elles encouragent ou prohibent, les stéréotypes qu’elles véhiculent ou les oppressions qu’elles tolèrent. Réciproquement, cultes ou églises sont en droit de critiquer ouvertement, mais non interdire, les dispositions ou moeurs laïques qui les gênent aux entournures. Confondre le combat pour les libertés de tous avec le bâillon mis à tout ce qui choque, oublier en focalisant sur l’islam les interdits qui imprègnent moeurs ou religions du crû, c’est donner des gages à ceux qui crient à la diffamation de leurs idéaux et à la partialité de nos règlements.

Cette initiative viole plusieurs droits fondamentaux garantis par la Constitution fédérale3 et n’aurait pas dû franchir le cap de la soumission. Les xénophobes refusent systématiquement, sous couleur de préférence nationale, de mettre notre législation en conformité aux conventions internationales, et entendent constitutionaliser avec la spécificité des minarets une extravagance que le bon sens populaire se doit d’écarter.

Toute construction de bâtiment, religieuse ou non, est soumise aux normes légales existantes, strictes en matière d’esthétique et nuisance environnementale, sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter un contrôle infamant de destination religieuse ou politique. D’anciennes dispositions relatives à la construction de clochers ou de temples, selon la confession dominante des cantons, ont existé. De telles absurdités d’un autre âge sont humiliantes pour toute conviction.

La Suisse est riche de différentes cultures et influences parce qu’elle a su mettre fin à des conflits séculaires. Il faut poursuivre dans cette voie et servir de modèle dans un monde mis à feu et à sang par les partisans de l’intolérance. Soyons riches de nos différences, égaux dans nos singularités, libres de nos opinions. Le 29 novembre prochain, le monde entier aura les yeux braqués sur les résultats de notre vote. Nous devons envoyer un signal positif: un monde égalitaire et qui respecte ses diversités est possible. Les initiants arguent que dans certains pays, les chrétiens ne peuvent pas construire de clocher… est-ce une raison pour nous rabaisser au niveau de régimes totalitaires?

Formé dans le combat référendaire de 2006 contre les lois réclamées du même coin de l’échiquier politique que la présente initiative, le mouvement StopEX fédère des organisations genevoises qui s’opposent aux courants xénophobes stigmatisant des fractions de la population. La défense des droits de ces personnes ne doit pas s’arrêter à leur seul poids économique, ni ne concerner que les victimes de persécutions. Faciliter leur insertion dès qu’elles respectent les conditions élémentaires d’une vie en commun, valables pour tous, est un devoir, qui exige cette fois de défendre le droit de tout individu et communauté à la libre pratique privée et publique de ses convictions religieuses ou philosophiques, dans le respect de son indissociable condition, une scrupuleuse neutralité de l’espace public et des institutions.

Non à une initiative qui, sous couleur de combattre l’intolérance des autres, encourage la discrimination à domicile. I

* Membre du comité de la Coordination contre l’exclusion et la xénophobie (StopEX), qui mène la campagne unitaire genevoise contre l’initiative sur les minarets, http://stopexclusion.ch

1 En 2000, la communauté musulmane représentait 4,26% de la population et était composée de 88% d’étrangers.

2 Cf. l’opuscule de la journaliste genevoise, Mireille Vallette, aux accents nettement islamophobes, militant pour la «défiance légitime» qu’applaudit en préfacier Charles Poncet.

3 Art. 8: Egalité de tous devant la loi; art. 15: Liberté de conscience et de croyance et art. 36: Restriction des droits fondamentaux, repris de la Convention européenne des droits de l’homme.

Opinions Contrechamp Dario Ciprut

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