Contrechamp

À TABLE AVEC LES SEMENCES «NUMÉRIQUES»

BIOTECHNOLOGIES – Avec divers projets en préparation, «l’industrie génétique remet en cause la possibilité pour nos enfants de se nourrir» alerte le Français Guy Kastler*. Pour ce paysan et syndicaliste anti-OGM, la mobilisation citoyenne en Europe doit s’inspirer des luttes du Sud.

OGM de deuxième génération, plantes mutées à coup de radiations, semences de synthèse dont les gènes seront numérisés et privatisés… Guy Kastler, délégué général du Réseau semences paysannes, décrit ce que préparent les multinationales de l’industrie génétique et agroalimentaire. Des projets à faire frémir…

Y a t-il aujourd’hui des plantes mutées dans nos assiettes?

Oui, nous mangeons tous des blés mutés ou des potagères mutées. Contrairement aux plantes transgéniques, il n’y a aucune obligation d’information du consommateur. Les plantes mutées sont considérées comme des OGM par une directive européenne, mais sont exclues de son champ d’application. Près de 3000 variétés de 170 espèces différentes obtenues à partir de mutations incitées sont recensées par l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique). Elles sont commercialisées sans aucun étiquetage et sans aucune évaluation environnementale ou sanitaire. Pourtant, le stress violent que subit la plante génère des recombinaisons génétiques aléatoires plus nombreuses qu’avec la transgénèse. Ces recombinaisons sont responsables de la plupart des effets nocifs des OGM sur la santé. Il n’y a aucune raison pour qu’elles soient inoffensives avec les plantes mutées.

Depuis quand l’Agence internationale de l’énergie atomique s’occupe-t-elle d’agriculture!?

Elle travaille depuis une dizaine d’années, en partenariat avec la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) sur l’augmentation de la production alimentaire des Etats membres. Ils justifient le recours à la mutagenèse par le besoin de trouver des plantes dès maintenant pour nourrir le monde.

En quoi consiste cette mutagenèse?

Depuis les années 1950, les chercheurs travaillent sur des cellules qu’ils soumettent à un stress important: par irradiations – bombardements au cobalt ou rayons gamma – ou avec des produits chimiques très agressifs comme la colchicine. C’est ce stress qui provoque une mutation de gènes appelée «mutation incitée» par l’AIEA.
Pendant des années, le coût de cette technique aléatoire a freiné son développement. Après avoir soumis des milliers de cellules au stress mutagène, il fallait les multiplier en autant de plantes avant de savoir si cette mutation présentait un intérêt. La connaissance aujourd’hui du génome de la plante rend la méthode de la mutagénèse intéressante économiquement et industrialisable. Quand on dispose de la séquence génétique complète d’une plante, on repère immédiatement dans la cellule si un gène a muté ou pas et si la mutation est intéressante. Une dizaine de multiplications suffisent ensuite pour obtenir les lignées recherchées.

La lutte contre les «simples» OGM est-elle déjà dépassée?

La bagarre contre les OGM de première génération – OGM pesticides et OGM résistants à un herbicide – n’est pas gagnée en Europe. Depuis quinze ans cependant, nous maintenons un rapport de force qui nous est favorable. Cela risque d’évoluer avec l’arrivée sur le marché des OGM de deuxième génération. Ces OGM sont dits «sécurisés» et «éco-compatibles» car ils sont censés garantir l’absence de risque pour l’environnement et la coexistence entre les cultures OGM et les autres cultures. Leur transgène deviendrait inactif avant la floraison ou la récolte, ou ne serait pas activé sans l’usage d’un produit chimique. Cela empêcherait toute contamination. Actuellement, ces OGM de deuxième génération font l’objet de recherches dans le cadre d’un programme appelé «Transcontainer» financé par la Commission européenne.

OGM de deuxième génération en préparation, plantes mutées déjà commercialisées… Que nous préparent encore les apprentis sorciers du XXIe siècle?

Longtemps la biologie moléculaire a reposé sur l’idée qu’à un gène correspondait une protéine. Lorsque l’on modifiait un gène, on pensait ne modifier que la protéine. Ce dogme est totalement remis en cause par la biologie synthétique ou «systémique». Elle porte sur la manière dont les gènes sont reliés entre eux. Les liens qui organisent les relations entre les gènes influeraient tout autant que les gènes eux-mêmes sur la présence et la nature des protéines. Des chercheurs travaillent actuellement sur la combinaison de plusieurs gènes en vue de créer des plantes résistantes à la sécheresse. Dans la transgénèse, les gènes transférés sont déjà issus de synthèse chimique recopiant la séquence de gènes naturels.
Aujourd’hui, une nouvelle étape est franchie. On passe de l’insertion de gènes synthétiques dans des organismes vivants réels – les OGM – à la mise en réseau de ces gènes et à la fabrication de génomes totalement synthétiques. Autrement dit, il est possible de fabriquer aujourd’hui des organismes vivants et reproductibles complètement nouveaux. Des laboratoires ont réussi à le faire avec des bactéries. Leur travail porte aujourd’hui sur les plantes. C’est là que réside le principal danger: la plante entière étant fabriquée par synthèse, les chercheurs n’ont plus besoin de graines vivantes mais seulement de leur séquence génétique numérisée dans un ordinateur.

Les banques de semences, qui conservent la biodiversité des plantes cultivées, risquent-elles d’être abandonnées au profit de ces semences «numériques» privatisées?

C’est déjà le cas, notamment dans les pays du Sud. C’est la mission des Etats de préserver les ressources génétiques – animaux, microbes, plantes – et de les mettre à disposition de tous. Cette mission est d’autant plus essentielle dans les pays qui ont industrialisé leur agriculture où la biodiversité cultivée dans les champs a disparu. Cette mission est pourtant délaissée au prétexte de manque de crédits. Une partie des banques de gènes est aujourd’hui privatisée, avec un accès de plus en plus restreint pour l’agriculteur ou le jardiner. Toutes les firmes ont construit leurs propres banques de gènes grâce à leur accès facilité aux banques de semences publiques.
Sur l’île de Svalbard en Norvège, les fondations Bill Gates et Rockefeller ont financé une banque de gènes dans laquelle sont entreposés dans le froid plus de 4,5 millions d’échantillons de semences. L’accès à cette banque est réservé aux institutions contrôlées par les multinationales semencières. Ces semences ne seront pas ressemées: elles perdront rapidement toute leur capacité de germination. Même mortes, elles pourront livrer leurs séquences génétiques aux ordinateurs de l’industrie, convaincue de sa capacité à recréer un monde artificiel à partir de ces seules séquences. Un monde qui sera totalement fiché par la marque des droits de propriété industrielle sur les gènes. Mais l’industrie ne pourra jamais faire des plantes capables de s’adapter partout. Elle en fabriquera quelques-unes pour toute la planète, qui ne pousseront qu’avec davantage d’engrais chimiques et de pesticides. Elle remet ainsi en cause la possibilité même de nos enfants de se nourrir.

Comment éviter cette destruction du vivant?

Créé en 2003, le Réseau Semences Paysannes2 s’est développé très rapidement avec l’apparition des OGM. Paysans et jardiniers ont pris conscience que s’ils ne voulaient pas d’OGM, ils devaient s’emparer du travail de conservation, de sélection et de multiplication des semences. La première étape a donc été de se réapproprier les savoirs et les ressources génétiques pour les remettre dans les champs. Désormais, face à l’impossibilité de sélectionner des plantes saines à partir de semences commerciales modernes trafiquées – à cause de la perte de leur qualité nutritionnelle et du besoin d’engrais chimiques pour pousser – nous appelons à vider les banques de semences pour faire des maisons de la semence.

A quoi servent ces maisons de la semence?

L’idée des maisons de la semence est que paysans et jardiniers s’y regroupent pour mettre leurs semences en commun et gèrent ensemble ce patrimoine. On ne peut pas chacun de son côté replanter chaque année 500 à 800 variétés de semences. Dans la mesure où l’Etat privatise cette mission de service public, la société civile doit s’en emparer en faisant reposer la gestion de ce patrimoine sur une organisation collective. Les paysans ont un rôle clair à jouer dans ce travail de culture. Les jardiniers amateurs sont aussi une composante essentielle. Ils ont préservé ces dernières années des milliers de variétés anciennes de potagères ou d’arbres fruitiers qui seront une bonne partie de l’alimentation de demain. La société civile doit nous aider à mobiliser les élus pour la reconnaissance des droits des paysans et des jardiniers à conserver, ressemer et échanger leurs semences. Des conseils municipaux ont déjà pris des délibérations pour cela.

Les lois actuelles empêchent les paysans de ressemer leur propre récolte!?

Le verrouillage juridique est de pire en pire. En France, les agriculteurs n’ont pas le droit d’échanger des semences. Ils ne peuvent plus ressemer une partie de leur récolte sans payer une redevance aux semenciers. On parle de «contribution volontaire obligatoire» pour le blé tendre. C’est un système qui pourrait être étendu à toutes les espèces. On a encore le droit aujourd’hui d’échanger des semences qui ne sont pas inscrites au catalogue à titre payant ou gratuit si c’est pour une exploitation non commerciale. On peut par exemple vendre une semence à un jardinier amateur car il va consommer sa propre récolte et ne pas la vendre sur un marché. Mais cette dernière marge de manoeuvre risque aussi de disparaître avec une réforme actuelle des règlements européens. Pourtant, le Parlement a ratifié un traité, le TIRPAA1, qui reconnaît les droits des paysans à ressemer, échanger et vendre leurs semences. Mais le gouvernement n’applique pas ce traité et une campagne citoyenne est aujourd’hui indispensable pour la reconnaissance de ces droits.

Ces alternatives ont-elles des équivalents en Europe?

Des réseaux ressemblent beaucoup aux nôtres en Italie, en Espagne, en Allemagne ou en Autriche. La mobilisation citoyenne en Europe sur le thème des semences prend de l’ampleur et accompagne très souvent les luttes anti-OGM. Nous avons du retard sur les pays du Sud où la conservation de la biodiversité est le premier acte de l’agriculture vivrière. Tous ces paysans conservent et échangent leurs semences. Leur mobilisation aujourd’hui est extrêmement importante à la fois contre les lois européennes qui s’imposent à l’ensemble de la planète, et contre les OGM pour protéger leurs semences des contaminations. Nous avons beaucoup à apprendre des pays du Sud. I
* Guy Kastler est délégué général du Réseau Semences Paysannes, réseau français d’organisations paysannes et d’agriculture biologique. Il est également chargé de mission pour la Fédération internationale d’agriculture biologique «Nature et Progrès», membre du syndicat agricole français «Confédération paysanne» et de la commission Biodiversité de Via Campesina.

1 Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture.

* Guy Kastler est délégué général du Réseau Semences Paysannes, réseau français d’organisations paysannes et d’agriculture biologique. Il est également chargé de mission pour la Fédération internationale d’agriculture biologique «Nature et Progrès», membre du syndicat agricole français «Confédération paysanne» et de la commission Biodiversité de Via Campesina.

1 Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture.

Opinions Contrechamp Sophie Chapelle

Connexion