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ASSURANCES SOCIALES EN TRAVAUX: DANGERS?

SUISSE – La plupart des domaines d’assurances sociales sont concernés par des révisions parlementaires récentes ou en cours, qui portent essentiellement sur les questions de financement. Avec un impact non négligeable sur les assurés. Eclairage par la juriste Béatrice Despland.

Les assurances sociales, nous les connaissons. Dans le meilleur des cas, nous prenons conscience de leur importance mensuellement lorsque nous recevons notre salaire grevé des déductions sociales obligatoires, et lorsque nous devons nous acquitter de notre prime d’assurance-maladie. Dans le pire des cas, lorsque nous sommes confrontés à la maladie, à l’accident, à l’invalidité ou au chômage, les assurances sociales deviennent très vite source d’inquiétude, de difficultés et parfois d’incompréhension. Le système est complexe. La pratique, qui devrait être fondée sur les lois, les règlements et les arrêts rendus par les tribunaux, n’est pas toujours transparente pour l’assuré atteint dans sa santé ou privé de son salaire.
Difficile à appréhender, ce système est, de surcroît, soumis à des révisions constantes. Le financement des régimes constitue le noyau dur des réformes en cours ou projetées. Pour d’aucuns, la pérennité des systèmes requiert une réduction des prestations. Quelle appréciation peut-on faire des travaux en cours et des projets de révision?

Entrée en vigueur le 1er janvier 1996, la LAMal vient d’être révisée au 1er janvier 2009. Le système de financement de l’hospitalisation a en effet été modifié à cette date. La presse en a peu fait l’écho. Et c’est compréhensible. Le nouveau système, qui a été adopté par le Parlement fédéral le 21 décembre 2007, ne déploiera pleinement ses effets qu’au 1er janvier 2012. D’ici là, les cantons ont la redoutable tâche d’adapter leur législation aux nouvelles normes fédérales. A l’échéance 2012, le forfait par cas (ou pathologie) constituera la base du système de remboursement dans le cadre de l’assurance-maladie obligatoire. A cette date également, les assurés pourront choisir librement l’établissement hospitalier dans lequel ils désirent se faire soigner. Ce choix, limité aux seuls hôpitaux qui figureront sur les listes cantonales, ne sera pas sans incidence financière, l’assuré étant tenu de payer la différence de tarif «hors canton». Les assurés vont-ils faire usage de cette nouvelle possibilité ou se montrer peu mobiles, comme beaucoup le prétendent d’ores et déjà? Seul un bilan, établi dans trois ou quatre ans, permettra de répondre à cette question.

Bien qu’elle ne soit pas encore entrée en vigueur, la révision du financement des soins de longue durée peut, elle, s’avérer lourde de conséquences pour les assurés dans un avenir proche. Adoptée par le Parlement le 13 juin 2008, la nouvelle loi introduit des changements notables en ce qui concerne le financement des soins dispensés à domicile, dans une structure de soins (de jour ou de nuit) ou en EMS. Les assureurs seront ainsi tenus de verser une seule contribution aux frais, indépendamment du lieu où sont dispensés les soins. Une partie des frais non couverts pourra être mise à la charge de l’assuré (jusqu’à environ 7000 francs par année). Le financement des soins «de transition», dispensés au sortir d’un séjour hospitalier, sera assuré en partie par le canton (comme en cas d’hospitalisation), pour une durée limitée à quinze jours.

Si les principes retenus par le Parlement sont relativement clairs, il n’en va pas de même des dispositions détaillées contenues dans les ordonnances fédérales d’application. Mises en procédure de consultation par le Département fédéral de l’intérieur le 18 décembre 2008, et jusqu’au 31 mars 2009, ces dispositions font déjà l’objet de sérieuses critiques. La plus importante porte certainement sur la date de mise en vigueur prévue par l’administration fédérale: le 1er juillet 2009. Dans l’impossibilité d’adapter leur législation dans les délais impartis, les cantons devraient obtenir un report de cette échéance. Pour les personnes tributaires de soins de longue durée, la LAMal révisée sera, dans bien des cas, synonyme de charges financières supplémentaires. Jusqu’à ce jour, aucun débat national n’a été initié en ce qui concerne l’avenir des soins de longue durée. Voulons-nous reconnaître que la dépendance est un nouveau risque social et nous donner les moyens de la couvrir, le cas échéant, par un système distinct financé solidairement (sur le modèle d’autres Etats européens, tels que le Luxembourg) ou donnerons-nous la préséance à un financement individualisé au nom de la responsabilité individuelle?

Indépendamment de ces révisions, la suspension des prestations pour non-paiement de primes est, pour l’heure, un sujet de préoccupation majeure pour quelque 200 000 assurés. Même si les signes d’un arrangement semblent prometteurs, la situation n’est toujours pas réglée. Certes, la situation n’équivaut pas à une exclusion de l’assurance. L’affiliation est maintenue et le paiement des prestations est simplement différé. Mais, pour les personnes concernées, la situation est souvent similaire à celle de personnes dépourvues d’assurance. Pour elles, l’Etat est tenu de prendre en charge les prestations qui préservent la dignité humaine au sens de la Constitution fédérale. Au moment de l’adoption de la LAMal, une telle situation avait-elle été envisagée? La réponse est clairement négative.
– Assurance-accident. Destinée aux travailleurs salariés, la LAA couvre les accidents et les maladies professionnels et, pour les travailleurs exerçant une activité de 8 heures par semaine, les accidents non professionnels. Essentiellement axée sur la réforme des rentes d’invalidité versées après l’âge de la retraite, l’actuelle révision de la LAA contient d’autres éléments qui donneront lieu à de vifs débats au Parlement. De surcroît, un projet séparé vise la gestion de l’assurance-accident, et plus précisément, la réforme de cette dernière dans le cadre de la SUVA.
Les enjeux sont, ici, relativement éloignés des intérêts immédiats des personnes assurées. Ils n’en sont pas moins déterminants pour l’avenir de cette branche d’assurance qui est, pour l’heure, entièrement financée par les cotisations des travailleurs et entreprises concernés. Les premières «passes d’armes» ont eu lieu à la commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national. Plus de 100 propositions individuelles d’amendements ont été déposées. Plusieurs rapports ont été demandés à l’administration afin de pallier le manque de données suffisantes. Les débats seront encore nombreux avant l’entrée en vigueur de la révision, prévue pour le 1er janvier 2011, sous réserve d’un referendum.
– Assurance-chômage. Le projet de révision a été transmis aux Chambres le 3 septembre 2008. Il vise essentiellement à équilibrer les comptes, notamment par l’augmentation des cotisations. La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats a procédé à des auditions. Les débats d’entrée en matière devraient avoir lieu les 6 et 7 avril 2009. L’enjeu est de taille: il s’agit de préserver les prestations tout en renforçant les mesures de réinsertion, aussi bien pour les jeunes chômeurs que pour les chômeurs plus âgés, proches de la retraite. Nul doute que la situation économique influencera grandement les débats parlementaires et la campagne référendaire qui pourrait avoir lieu.

– Assurance-invalidité. Le peuple et les cantons auraient dû se prononcer le 17 mai 2009 sur la hausse de la TVA en faveur de l’AI. Le Conseil fédéral en a décidé autrement, repoussant le vote au 27 septembre prochain. Les conditions économiques seront-elles, alors, plus favorables à une acceptation de l’arrêté fédéral du 13 juin 2008?
L’assainissement financier de l’assurance-invalidité est au centre des débats. Elle le sera également dans le cadre de la 6e révision de la LAI. Bien que le projet ne soit pas encore dévoilé, son orientation a été indiquée par le Département fédéral de l’intérieur, en septembre 2008 déjà. La 6e révision de la LAI doit ainsi contribuer à «libérer les bénéficiaires d’une rente AI de leur dépendance à l’égard de l’assurance»… La «réadaptation après la rente» deviendra ainsi le mot d’ordre de cette nouvelle révision. Peut-on réellement espérer l’intégration pleine et entière de personnes atteintes dans leur santé et dans leur capacité à exercer une activité lucrative?
– Prévoyance professionnelle. Le 19 décembre 2008, le Parlement fédéral a adopté une révision de la LPP, qui réduit une fois encore le taux de conversion. Ce taux n’est rien d’autre que le pourcentage qui permet de calculer le montant de la rente sur la base du capital accumulé au cours des années de vie active. Initialement fixé à 7,2%, le taux a déjà été ramené à 6,8% dans une première révision. Il devrait encore descendre à 6,4% selon la dernière décision du Parlement. Le délai référendaire court cependant jusqu’au 16 avril 2009. La récolte des signatures est en cours. Manifestement, le peuple sera appelé à voter. Sur fond de crise, la décision ne sera pas aisée à prendre.
Bien qu’esquissés brièvement, les enjeux des révisions en cours ou projetées sont clairement perceptibles. L’assainissement financier de plusieurs régimes d’assurances sociales ne se fera vraisemblablement pas au moyen d’un seul apport financier. Dans l’assurance-invalidité, tout particulièrement, la diminution attendue du nombre de rentes va s’accompagner de mises à l’écart – pour ne pas dire d’exclusions – de personnes fragilisées. Dans le domaine des soins de longue durée, la sollicitation financière croissante des personnes dépendantes ira certainement de pair avec le développement de formes d’assurances privées. Une motion (Forster-Vannini) demandant d’encourager un pilier 3c destiné au financement des soins aux personnes âgées a déjà été débattue au parlement. La responsabilité individuelle, qui a toujours existé en filigrane des régimes d’assurances sociales, est en passe de devenir un élément déterminant pour l’ouverture du droit aux prestations. Une vigilance toute particulière s’impose afin que cette responsabilité ne devienne pas, au fil des révisions, un principe qui relèguera l’Etat social à l’arrière-plan, dans un rôle de subsidiarité. I
* Juriste et professeur à la Haute école cantonale vaudoise de la santé (HECVSanté), Béatrice Despland est l’auteur du rapport «Assurances sociales en révision: quels effets pervers? Pour qui?», réalisé dans le contexte de la «journée d’automne» (novembre 2008) de l’Association romande et tessinoise des institutions d’action sociale (ARTIAS). www.artias.ch/index.php?option=com_content&task=view&id=263&Itemid=104

* Juriste et professeur à la Haute école cantonale vaudoise de la santé (HECVSanté), Béatrice Despland est l’auteur du rapport «Assurances sociales en révision: quels effets pervers? Pour qui?», réalisé dans le contexte de la «journée d’automne» (novembre 2008) de l’Association romande et tessinoise des institutions d’action sociale (ARTIAS). www.artias.ch/index.php?option=com_content&task=view&id=263&Itemid=104

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