Accoucher en privé réserve des surprises Les accouchements en division commune d`un hôpital public sont remboursés dans leur intégralité. On ne peut en dire autant pour les maternités assurées en privé quand bie
e de quelque
1900 francs que personne ne veut lui rembourser.
En mai 2002 Mme J. accouche en division semi-privée à
l`Hôpital de La Tour à Genève. La jeune femme
au bénéfice de l`assurance de base obligatoire auprès
de la caisse maladie Assura et d`une assurance complémentaire
à la CSS reçoit une facture de La Tour relative aux soins
et au séjour du nouveau-né en maternité. Qu`elle
renvoie à Assura pour remboursement.
C`est là que les choses se compliquent. L`assureur
lui répond que les frais concernant la pension de l`enfant
en pouponnière et les soins prodigués au nourrisson –
le tout s`élevant à 1900 francs – ne sont pas pris
en charge. Au motif que cette prestation ne peut être couverte
par l`assurance de base de la mère. Mme J. se tourne alors
vers la CSS où elle se voit répondre que les prestations
en question concernent l`enfant qui n`est pas assuré
chez elle… Bref chacune des deux caisses ne veut rien rembourser.
Déterminée la jeune femme contacte à nouveau la
première assurance. Ces frais ne peuvent-ils être couverts
par l`assurance de l`enfant contractée auprès
d`Assura s`enquiert-elle. Non puisque lesdits frais n`entrent
pas répète Assura dans les prestations de base. Les
seuls soins pris en charge dans ce cadre sont ceux administrés
à un bébé né en mauvaise santé –
atteint de jaunisse par exemple. Ce qui n`est pas le cas.
Au sortir de cette partie de ping-pong Mme J. estime avoir été
lésée dans la mesure où elle pensait avoir pris
toutes les garanties pour que la totalité des frais liés
à son accouchement soient remboursés. Confrontée
à ce cas qu`elle ne traite pas personnellement Laurence
Tschopp juriste chez Assura convient d`emblée qu`il
s`agit là «d`un problème ennuyeux lié
aux maternités assurées en privé». Et après
vérification confirme par ailleurs que selon elle les «obligations
légales de la caisse ont bien été remplies dans
le cas de Mme J.». Soit le versement du forfait qu`Assura
aurait payé à l`hôpital public qui s`élève
à 367 francs par jour dans le canton de Genève.
Un cas exceptionnel? Pas vraiment. Le couple F. se trouve dans une situation
similaire avec le sentiment tout aussi net de s`être fait
gruger. Après avoir également signifié son refus
de rembourser les frais de pension en pouponnière la caisse
OEKK chez qui mère et bébé ont leur assurance
obligatoire de soins refuse également de couvrir ceux liés
aux deux visites pédiatriques.
SUBTILS
CONTRATS PRIVÉS
Doit-on dans ces cas invoquer un vide juridique? La loi fédérale
sur l`assurance-maladie (LAMal) prévoit pourtant à
l`article 29d (lire ci-dessous) la prise en charge des «soins
accordés au nouveau-né en bonne santé et de son
séjour tant qu`il demeure à l`hôpital
avec sa mère» par l`assurance obligatoire de la maman.
«Si l`accouchement avait eu lieu en division commune dans
un hôpital public le problème de remboursement ne se serait
pas posé. Car les prestations de pouponnière auraient
été comprises dans le forfait hospitalier de la mère»
explique Eve Gobbi du Service cantonal de l`assurance-maladie.
Un forfait qui inclut aussi les soins spécifiques dispensés
au bébé répertoriés au chapitre des mesures
de prévention pour les nouveau-nés à l`article
12b de l`Ordonnance sur les prestations dans l`assurance obligatoire
des soins (OPAS).
Mme Gobbi fournit un éclairage juridique complémentaire:
«Dans le cas d`une hospitalisation en division privée
nous sortons du cadre des assurances sociales. C`est le contrat
de droit privé entre assureur et assuré qui s`applique.
Et les conditions générales d`assurance variables
d`une caisse à l`autre qui font foi. L`assurance
est à la carte et pour obtenir une bonne couverture il faut
aller loin dans les complémentaires. Et les parents sont en général
mal informés.»
POUPONNIÈRE
DE LUXE?
Des parents qui en l`occurrence n`ont cure de ces subtilités
juridico-administratives. «Que le séjour de mon épouse
s`effectue en division commune ou privée cela ne change
rien au type de soins accordés au bébé. Et à
l`hôpital comme en clinique une pouponnière reste
une pouponnière» argue M. F.
Oui et non. Si effectivement la nature des prestations est identique
dans les deux cas les montants varient grandement. Ainsi des actes
effectués par le pédiatre privé de la famille F.
dont les honoraires calculés sur la base du tarif stationnaire
s`élèvent à 440 francs. Quant à la
nuitée en pouponnière elle est facturée 242 francs
à La Tour. Ce qui au regard du forfait journalier à l`hôpital
donne une idée de la différence des coûts…
«En clinique privée le bébé est dès
sa naissance assimilé à un patient privé»
explique Mme Tschopp d`Assura. D`où le montant des
frais qui vont avec. «En prenant la responsabilité de ne
pas rester à la base les gens connaissent le risque qu`ils
courent. L`enfant est sain et ni la CSS ni Assura n`offriront
de couverture s`il n`est pas malade» poursuit la juriste.
D`autant que paradoxalement les nouveau-nés ne sont généralement
pas assurés en division privée… Parce «qu`on
ne peut couvrir des frais qui n`existent pas: les bébés
ne disposent pas de chambre privée!» rétorque Mme
Tschopp.
Du côté de la Fédération romande des consommateurs
(FRC) on donne en revanche raison aux familles. Car selon la secrétaire
générale Béatrice Meyer «les frais de pouponnière
relèvent de l`assurance de base de la mère indépendamment
des conditions de séjour de cette dernière». En
clinique ou en division privée la juriste de la FRC – contredisant
sa consoeuur d`Assura – estime «qu`il suffit que
le bébé soit assuré dans la caisse où sa
mère a pris son assurance de base» pour que ces frais soient
pris en compte. Et ce quel que soit leur montant.
DES
FAUX VRAIS FRAIS
Un serpent qui se mord la queue… et des frais bien réels. Qui
«relèvent du cas typique que seule une assurance complémentaire
prénatale de première classe est à même de
couvrir. Mais trop souvent les parents ne sont pas informés
par leur assurance» selon un assureur genevois. Qui confie avoir
été confronté à ce type de problème
«des dizaines de fois» ces dernières années:
«Les futures mères croient prendre toutes les garanties
possibles pour pouvoir accoucher en privé. Or le but d`une
assurance étant de payer le moins possible cette dernière
profite des failles du contrat qu`elle se garde de mentionner
pour ne pas avoir à rembourser» (lire ci-dessous).
«Partant du principe qu`une personne qui comme Mme J. possède
chez nous uniquement une assurance de base ne va pas se rendre en clinique
il est probable que les informations sur l`accouchement en division
privée ne lui aient pas été fournies» avance
la juriste d`Assura. Insinuant que ce serait plutôt à
la caisse qui gère les assurances complémentaires d`attirer
l`attention de la future mère sur la question du remboursement…
Mme J. prétend au contraire avoir signalé à Assura
le fait qu`elle allait accoucher à La Tour. «Mon interlocuteur
m`a répondu que du moment où l`enfant allait
être affilié chez eux et que je bénéficiais
par ailleurs d`une complémentaire je n`aurais aucun
problème. Et à aucun moment la clinique ne m`a informée
de ce type de lacune…» Contactée afin de connaître
les pratiques des cliniques privées en la matière l`Association
des cliniques privées de Genève renvoie dos à dos
assurés et assureurs…
COMPLEXE
MAIS LÉGAL
Quoi qu`il en soit selon l`Office fédéral des
assurances sociales (OFAS) il apparaît que dans cette histoire
les obligations légales en matière d`assurance sociale
ainsi que les obligations contractuelles pour ce qui concerne les prestations
complémentaires semblent avoir été dûment
honorées par les caisses concernées. La juriste Patricia
Leiber se veut pragmatique: «On peut toujours se demander si une
clinique privée peut facturer une pouponnière au tarif
privé ou semi-privé… Mais dans le registre des assurances
complémentaires on ne peut pas interdire de clauses aussi préjudiciables
soient-elles à l`assuré.»
Pour pallier ce genre de déconvenues il faudrait que l`autorité
de surveillance des assurances privées soit saisie selon Mme
Leiber. Ou encore que les assureurs décident de régler
eux-mêmes la question pour un meilleur service aux assurés.
En demandant également aux cliniques de diminuer leurs tarifs.
Ce qui au dire d`Assura ne semble pas être la priorité
du moment.
Quant à une campagne d`information institutionnelle à
l`usage des assurés? «Cela n`a aucune influence»
selon l`OFAS. Ce que confirme le Service cantonal de l`assurance-maladie:
«Nous avons tenté de faire passer auprès des gynécologues
le message que l`assurance privée à la carte n`est
pas un forfait. En vain.»
Face aux deux cas qui nous occupent la juriste de l`OFAS ne peut
que suggérer «une solution à l`amiable d`entente
entre assurés caisses et clinique…» Mais pour l`instant
les familles concernées campent sur leurs positions. Invoquant
l`art. 29d de la LAMal M. F. souligne qu`aucun montant de
remboursement n`est plafonné par la loi: «Cette loi
ordonne la prise en charge des frais de séjour du bébé
et elle n`a pas été respectée.» Un point
c`est tout. Partant ce papa tenace se demande s`il doit porter
l`affaire en justice. Ce qui selon lui aurait le mérite
de faire jurisprudence. De là à renforcer les assurances
sociales…
Aux dernières nouvelles l`OEKK a admis
son erreur concernant les frais de visite du nouveau né et proposé
un arrangement concernant les frais de pouponnière. Assura ne
s`est pas encore prononcé (réd.) .
Une
loi qui oublie les bébés…