Refusant de participer aux crimes de guerre commis par l’armée russe, Misha*, binational russo-ukrainien, fuit son pays après avoir reçu plusieurs convocations militaires. Recherché, il risque une peine de deux ans d’emprisonnement et demande l’asile en Suisse. Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) puis le Tribunal administratif fédéral (TAF) rejettent sa demande, rappelant que la désertion n’est pas un motif pertinent en droit d’asile.
Ainsi, Misha subit les conséquences d’une décision politique prise en 2012 par le parlement et confirmée en 2016 dans les urnes par le peuple suisse: celle d’exclure l’octroi de l’asile pour les objecteur·ices de conscience et les déserteur·ices. Dans les années 2000, l’UDC, parti d’extrême-droite, lance l’idée de retirer la désertion des motifs d’asile prévus par l’art. 3 de la loi sur l’asile, arguant qu’une sanction pour refus de servir est en principe légitime et ne devrait pas être qualifiée de persécution si elle ne vise qu’à réprimer ce comportement.
En réalité, la manœuvre visait délibérément à fermer l’accès à l’asile pour les personnes originaires d’Erythrée, qui en majorité fuient un service militaire imposé à vie (d’où le nom de Lex Eritrea donné à cette modification de la loi). Suite à l’approbation en votation, un troisième alinéa est alors ajouté à l’art. 3 de la LAsi, pour exclure spécifiquement la désertion comme motif d’asile.
En 2022, interpellé sur le sort des déserteurs russes qui demanderaient protection en Suisse, le Conseil fédéral affirme que le système actuel n’est pas lacunaire puisqu’en cas de persécution démontrée, le requérant obtiendra une admission provisoire1>Réponse du Conseil fédéral à l’interpellation 22.3598 déposée par Natalie Imboden.. Selon sa lecture, aucun nuage dans le ciel bleu de l’asile donc.
La réalité n’est pas aussi radieuse. D’une part, cette déchéance du droit d’asile entraîne des conséquences lourdes, même pour les personnes dont le renvoi est reconnu illicite en raison d’un risque avéré de persécution: celles-ci écopent d’un permis au rabais (le fameux permis F) incluant des droits sociaux limités – aide sociale réduite, impossibilité de voyager, regroupement familial bloqué durant les deux premières années puis admis uniquement sous conditions, etc.
Mais surtout, dans les faits, le risque de persécution n’est souvent pas reconnu. Dans ce cas le renvoi est prononcé2>Il n’existe pas de statistiques sur les motifs d’asile. Néanmoins, on peut relever que durant l’année 2025, sur les 204 demandes d’asile de ressortissant·es russes traitées, seuls 27 permis (asile ou provisoire) ont été accordés.. C’est ce qui s’est produit pour Misha: les autorités suisses ont estimé son renvoi licite et exigible, malgré avec son statut de déserteur. Ni le risque de sanctions disproportionnées à son encontre, ni le fait qu’il serait contraint de participer à des crimes de guerre en cas de retour n’ont été retenus.
Dans l’arrêt rendu en mai 2025 à son encontre, le TAF rappelle qu’«il relève en principe du droit légitime d’un Etat d’entretenir une armée et de recruter ses citoyens à cette fin», et estime que rien ne permet de conclure que Misha serait contraint de participer à des crimes de guerre s’il rejoignait l’armée russe, «même s’il existe des indices de crimes de guerre commis par l’armée russe en Ukraine». Le tribunal ajoute qu’il «n’existe en principe pas de situation de violence généralisée en Russie, même pour les opposants au régime, même si la situation dans ce pays doit être considérée comme tendue compte tenu des conflits armés entre la Russie et l’Ukraine». Son renvoi vers la Russie est donc prononcé. Le SEM et le TAF exécutent des pirouettes rhétoriques pour justifier leur décision négative d’asile, invoquant soudainement un prétendu respect de l’Etat de droit par un gouvernement dont la Suisse condamne par ailleurs les crimes.
Misha et son avocat ont demandé le réexamen de la décision, avec à l’appui de nouvelles preuves des risques encourus en cas de retour. Mais le tribunal a décrété que l’affaire est «d’emblée vouée à l’échec» et a exigé le paiement d’une avance de frais de 2000 francs pour accepter de la traiter. Somme que Misha n’a évidemment pas. A ce jour, il reste donc menacé d’expulsion.
Si l’exclusion de la désertion comme motif d’asile était déjà incompréhensible dans le cas des Erythréen·nes fuyant une conscription que le TAF avait reconnu équivaloir à du travail forcé, l’histoire de Misha en rappelle toute l’hypocrisie. Comment qualifier autrement le fait de refuser protection à des objecteurs de conscience au nom du droit souverain d’un Etat de mobiliser ses citoyen·nes, tout en sanctionnant simultanément ce même Etat pour son agression militaire contre Ukraine?
Notes