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Désobéir aux extrêmes

Le 8 juillet s’ouvrira à Porrentruy le procès de la jurassienne Caroline Meijers, accusée d’avoir facilité le séjour illégal d’un requérant syrien. Un acte de solidarité qui «s’inscrit dans un contexte de guerre aux migrant·es», selon la philosophe Marie-Claire Caloz-Tschopp. Face à la violence des politiques antimigratoires menées par l’Europe à ses frontières, il s’agit d’opposer le courage civique de «désobéir aux extrêmes».
Asile

En Suisse, une femme est accusée de «délit de solidarité». Délit paradoxal qui ne manquerait pas de faire rire s’il n’était pas tragique. Que penser d’une telle accusation dans le procès de Porrentruy à venir le 8 juillet prochain? Est-il légitime de condamner une citoyenne qui a désobéi en s’opposant au renvoi forcé d’un Syrien? Son acte s’inscrit dans un contexte de guerre aux migrant·es. La solidarité n’est pas un crime. Aujourd’hui, aux frontières européennes, que veut dire «désobéir aux extrêmes»?

Les fragiles acquis d’outils de protection provisoire ne sont pas des évidences solides comme du marbre. Il est de plus en plus difficile de se réclamer de l’Etat de droit dans la politique européenne et suisse des renvois forcés (Dublin). Les accusations de non-respect des droits s’accumulent. Surtout en matière de droit des étrangers. Mais pas seulement.

Comment penser aux extrêmes, se demandait Etienne Balibar en 2012. La violence aux frontières conduit à désobéir aux extrêmes. En quoi un tel saut périlleux n’est pas qu’une simple réaction minoritaire à l’Etat autoritaire?

La démocratie qui, à toutes les frontières, s’approprie, se (dé)construit, comme le montrent l’histoire et la variété des débats, s’appuie sur des principes fondamentaux, avec des lacunes (droits des étrangers, des femmes, de la nature), des contradictions (combinaisons guerre et humanitaire, guerre et politique) et des apories (l’impossibilité de sortir de la violence). Penser et agir aux extrêmes, en refusant la banalisation du nihilisme politique1>Caloz-Tschopp, M.C., Frontex, le spectre des disparu·es. Nihilisme politique aux frontières, Paris, l’Harmattan, 2023. dans les guerres, dont la guerre aux femmes, aux exilé·es, n’est pas une évidence.

Pourtant, on entend les mêmes cris d’alarme aux frontières, à Gaza, à Kiev, dans les centaines de conflits en cours sur la planète. On entend les mêmes craintes face aux armes, aux libertariens du désastre (Musk, Trump, Milei…), aux violations des droits d’asile, du travail, sociaux, au sexisme, au racisme, au mépris des règles du climat, de la biodiversité, de la liberté de penser, de la recherche publique.

Dès lors, pourquoi ne pas de se contenter d’une pensée de réforme, d’objection de conscience, de dénonciation de déni d’humanité, etc.? Pourquoi franchir le pas d’une désobéissance civique aux extrêmes? Aujourd’hui, relire les théories sur la désobéissance civile2>Arendt Hannah, Du mensonge à la violence, Poche, 1972, p. 53-105. visant une réforme est utile mais insuffisant. Dans un contexte de limites de la planète, les cartes du jeu entre insurrection, violence, révolution sont rebattues sans joker. Alors, comment désobéir aux extrêmes avec Frontex, la peau de chagrin du Pacte migratoire européen, et faire entendre raison à tous ceux qui vivent de l’apartheid aux multiples frontières?

Postulons qu’il faut aller avec – et plus loin que – Jürgen Habermas et Hannah Arendt pour comprendre et dégager un nouveau paradigme de la désobéissance civique insurrectionnelle, avec des propositions positives pour une politique migratoire et d’asile et de la défense des droits des travailleur·euses en Europe et en Suisse. Pas chacun pour soi. Une transectionalité des luttes.

L’enjeu est de réorganiser de fond en comble le tissage entre luttes, autour de pratiques de la paix active ancrées dans la réappropriation, constituante du pilier de l’hospitalité politique et philosophique (liberté, égalité, fraternité/sororité) et de l’asile (protection de la vie et de la liberté) à distinguer du «droit» d’asile d’Etat. A conjuguer avec les autres droits (travail, avortement, formation, logement, nature, etc.) Le droit aux frontières est à réinventer, à inscrire dans un projet alternatif de constitution européenne, de droit international civique.

Retenons le courage civique, face à l’oppression, de la philosophe Caroline Meijers, du professeur Joseph Daher, des étudiant·es accusé·es, des travailleur·euses du service public coincé·es dans l’engrenage, des travailleuse·eurs clandestin·es aux prises avec Dublin. Appuyons-les. Suivons de près ce qui arrive avec les politiques du «faire disparaître» institutionnalisées par Frontex en matière de droit à l’avortement, d’attaque des services publics, de violence dans les centres d’enfermement, de torture; soyons attentifs à ce qui se déroule dans les commissariats de police, les universités publiques…

Allons au procès de Porrentruy.

Notes[+]

Marie-Claire Caloz-Tschopp est philosophe, deGenève, desexildel’exil.com  (ouverture du site en accès libre prochainement).

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