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Le Courrier L'essentiel, autrement

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Que de silence

YVONNE BÖHLER
Inédits

FEDERICO HINDERMANN, (Biella, 1921 – Aarau, 2012), de père suisse alémanique et de mère italienne, est sans doute avec Giorgio Orelli le poète de Suisse italienne le plus important des dernières cinquante années. Egalement traducteur et passeur passionné de la littérature italienne dans l’espace germanophone, il a publié, de 1978 à 1986, six recueils chez le prestigieux éditeur milanais Schweiwiller, puis, à partir de 1998, de nombreuses plaquettes chez divers éditeurs mais aussi en autoédition, privilégiant la forme brève. De 1971 à 1986, il a dirigé les éditions zurichoises Manesse et sa prestigieuse collection de classiques de la littérature mondiale. Il était aussi l’époux de l’écrivaine Anna Felder.

Christian Viredaz, né en 1955, a publié cinq recueils de poèmes et a traduit, depuis 1981, une quarantaine d’ouvrages, de l’italien surtout (notamment Giorgio et Giovanni Orelli, Alberto Nessi, Dubravko Pušek, Remo Fasani et Daniele Finzi Pasca, ou encore Franz Hohler et Francesco Micieli). Il lui arrive d’œuvrer comme mentor. Il évoque sa traduction des poèmes de Federico Hindermann dans un texte à lire ci-dessous.

biblio

Sempre altrove. Poesie scelte 1971-2012
A cura di Matteo M. Pedroni, Milan, Marcos y Marcos, 2018.

Quanto silenzio
Auto-anthologie, Parma, Guanda, 1992.

Le mot du traducteur

Christian Viredaz évoque les «fulgurances discrètes» des vers de Federico Hindermann, émerveillé par sa manière de faire se rencontrer en un même instant «un quotidien étrange et familier et les espaces infinis du cosmos». Il nous offre quelques poèmes en hommage. 

La découverte de la poésie de Federico Hindermann, il y a de cela une quarantaine d’années, a été une véritable révélation. J’étais fasciné par les fulgurances de son discours musical à la fois hermétique, au premier regard, et étincelant d’images tout à fait concrètes, projetant le lecteur, en un même instant, dans un quotidien étrange et familier, et dans les espaces infinis du cosmos. Très vite, j’ai entrepris de traduire quelques-uns de ses poèmes qui me touchaient au vif, sans me rendre compte que, ne saisissant pas vraiment le cœur de sa pensée, je le rendais parfois plus hermétique qu’il n’était, au risque de l’affubler d’un surréalisme qui lui était étranger.

Reprenant aujourd’hui, à trente ans et plus de distance, ces premières traductions, je retrouve intact l’éclat premier du poème, mais aussi les maladresses de l’apprenti traducteur, ses trouvailles mais aussi ses bévues et, ici et là, quelque contresens, une lecture trop myope. Les premiers temps, comme bien d’autres traductrices et traducteurs débutants, je suppose, je tendais à rester trop proche de l’original là où le français m’aurait offert des ressources mieux appropriées, et m’en éloignais trop, le francisant à outrance en direction d’une expression trop convenue, là où il aurait fallu en conserver la fulgurance et la concision.

Relisant une dernière fois les épreuves des poèmes qui paraissent dans le numéro du lundi 22 décembre 2025, j’ai senti mes yeux s’embuer. Signe que, cette fois, la traduction va bien.

Qui cherche une approche plus fouillée, d’une remarquable finesse, fera bien de se procurer ou de ressortir des rayons de sa bibliothèque le no 6/2004 de l’excellente revue Feuxcroisés, à laquelle a succédé Viceversa, pp. 123-141, dans lequel Fabio Puster la présente à merveille Hindermann et son «émerveillement de s’émerveiller», résumant ainsi, en particulier, son style sans pareil: «Les ondes ultracourtes et les ondes très longues de la pensée 1>F.H., in Un pugno di mosche, Locarno, ANAedizioni, 2003 sont véritablement la clé de voûte de cette poésie, qui vit surtout dans le rapprochement fulgurant d’images et de situations très différentes, appartenant à des plans distincts, et pourtant rigoureusement liées les unes aux autres par une méditation profonde et constante, dont cependant l’auteur efface sur la page les passages intermédiaires, n’offrant que les brusques issues d’un parcours mental, la surprise de nous trouver ensemble2>Citation tirée du poème «Non passate così», de 1978.. »

Pour ma part, stimulé comme souvent par les poètes dont je travaille la partition pour l’interpréter du mieux que je peux, je me contenterai d’un petit salut d’outre-rêves, sous la forme de poèmes surgis l’autre nuit du demi-sommeil, trop modestes pour que j’ose les qualifier d’hommage:

Peine perdue

Je ne retrouve plus le papier

où j’avais tracé cette nuit

en rêve deux poèmes

Ma prière

Ma prière, si c’en est une

est faite de silences

quand je pose un instant mes yeux

sur les beautés du monde, aveuglé quelquefois

par l’haleine des morts.

Quelque sœur jumelle

Si je n’ai pas toujours les pieds sur terre

c’est qu’il m’arrive d’aller rendre

quelque part entre les étoiles

visite à quelque sœur jumelle

jamais née, dont je perçois

là-haut le souffle.

Lost and found

Il aura suffi que j’évoque

deux poèmes égarés

dans les brumes d’un demi-sommeil

pour que, l’un après l’autre

ils reviennent, le temps

de se changer.

Notes[+]