Christian Viredaz évoque les «fulgurances discrètes» des vers de Federico Hindermann, émerveillé par sa manière de faire se rencontrer en un même instant «un quotidien étrange et familier et les espaces infinis du cosmos». Il nous offre quelques poèmes en hommage.
La découverte de la poésie de Federico Hindermann, il y a de cela une quarantaine d’années, a été une véritable révélation. J’étais fasciné par les fulgurances de son discours musical à la fois hermétique, au premier regard, et étincelant d’images tout à fait concrètes, projetant le lecteur, en un même instant, dans un quotidien étrange et familier, et dans les espaces infinis du cosmos. Très vite, j’ai entrepris de traduire quelques-uns de ses poèmes qui me touchaient au vif, sans me rendre compte que, ne saisissant pas vraiment le cœur de sa pensée, je le rendais parfois plus hermétique qu’il n’était, au risque de l’affubler d’un surréalisme qui lui était étranger.
Reprenant aujourd’hui, à trente ans et plus de distance, ces premières traductions, je retrouve intact l’éclat premier du poème, mais aussi les maladresses de l’apprenti traducteur, ses trouvailles mais aussi ses bévues et, ici et là, quelque contresens, une lecture trop myope. Les premiers temps, comme bien d’autres traductrices et traducteurs débutants, je suppose, je tendais à rester trop proche de l’original là où le français m’aurait offert des ressources mieux appropriées, et m’en éloignais trop, le francisant à outrance en direction d’une expression trop convenue, là où il aurait fallu en conserver la fulgurance et la concision.
Relisant une dernière fois les épreuves des poèmes qui paraissent dans le numéro du lundi 22 décembre 2025, j’ai senti mes yeux s’embuer. Signe que, cette fois, la traduction va bien.
Qui cherche une approche plus fouillée, d’une remarquable finesse, fera bien de se procurer ou de ressortir des rayons de sa bibliothèque le no 6/2004 de l’excellente revue Feuxcroisés, à laquelle a succédé Viceversa, pp. 123-141, dans lequel Fabio Puster la présente à merveille Hindermann et son «émerveillement de s’émerveiller», résumant ainsi, en particulier, son style sans pareil: «Les ondes ultracourtes et les ondes très longues de la pensée sont véritablement la clé de voûte de cette poésie, qui vit surtout dans le rapprochement fulgurant d’images et de situations très différentes, appartenant à des plans distincts, et pourtant rigoureusement liées les unes aux autres par une méditation profonde et constante, dont cependant l’auteur efface sur la page les passages intermédiaires, n’offrant que les brusques issues d’un parcours mental, la surprise de nous trouver ensemble. »
Pour ma part, stimulé comme souvent par les poètes dont je travaille la partition pour l’interpréter du mieux que je peux, je me contenterai d’un petit salut d’outre-rêves, sous la forme de poèmes surgis l’autre nuit du demi-sommeil, trop modestes pour que j’ose les qualifier d’hommage:
Peine perdue
Je ne retrouve plus le papier
où j’avais tracé cette nuit
en rêve deux poèmes
Ma prière
Ma prière, si c’en est une
est faite de silences
quand je pose un instant mes yeux
sur les beautés du monde, aveuglé quelquefois
par l’haleine des morts.
Quelque sœur jumelle
Si je n’ai pas toujours les pieds sur terre
c’est qu’il m’arrive d’aller rendre
quelque part entre les étoiles
visite à quelque sœur jumelle
jamais née, dont je perçois
là-haut le souffle.
Lost and found
Il aura suffi que j’évoque
deux poèmes égarés
dans les brumes d’un demi-sommeil
pour que, l’un après l’autre
ils reviennent, le temps
de se changer.