Skip to content

Le Courrier L'essentiel, autrement

Je m'abonne

Ultime voyage du «savanturier» Pierre Strinati

Vincent Gerber, Président des Amis de la Maison d’Ailleurs, rend hommage au Genevois, passionné par la bande dessinée, décédé cet automne.
Pierre Strinati. R. FORSTER
Carnet noir

Une discrète personnalité genevoise s’en est allée le 29 septembre dernier, en la personne de Pierre Strinati. Passionné éclectique, collectionneur, il s’était fait une réputation autant dans le domaine des sciences naturelles que des cultures en marge que sont la bande dessinée populaire et la science-fiction. Il y avait le biospéléologue, auteur d’une thèse en zoologie sur le thème de la faune cavernicole de Suisse. Le nom de Strinati reste attaché aujourd’hui encore à la découverte de près de cinquante espèces et sous-espèces, dénichées lors de ses expéditions zoologiques dans les grottes du monde entier, avec le Neuchâtelois Villy Aellen notamment. Le jour de son 90e anniversaire, Pierre Strinati réalisait rien de moins que sa 1626e visite de grotte, à Vallorbe.

D’autres le connaissent comme grand amateur de la bande dessinée. Le festival BD-FIL lui a rendu hommage en 2015 en rappelant l’importance ­historique de son article paru dans la revue Fiction en juillet 1961: «Bande dessinée et science-fiction, l’âge d’or en France (1934-1940)». Un texte à son image: simple, érudit, et pourtant marquant. Les lettres de lecteurs affluent suite à sa publication. Pour la première fois, on étudie la bande dessinée avec sérieux, amenant un nouveau regard sur ce medium. Un tabou sautait, le premier pas vers une reconnaissance adulte du 9e art. Le retentissement occasionné par l’article débouchera en France sur la création du premier «Club de bande dessinée» (1962-1967), porté par quelques grands noms comme Jean-Claude Forest, Alain Resnais ou Chris Marker.

Enfin, il y avait le Strinati grand amateur et collectionneur de science-fiction. Pierre Versins, fondateur de la Maison d’Ailleurs, sa femme Martine Thomé, Demètre Ioakimidis et lui formaient alors les pionniers incontournables du genre en Suisse romande. Une collection foisonnante qu’il conservait dans sa maison familial, sise à Cologny.

On pourrait encore évoquer le Strinati passionné d’astronautique, qui a assisté au lancement d’Apollo 14 ou à l’éclipse de soleil de 1951 à bord d’un avion de Swissair, quand il n’a pas plongé dans les eaux de l’île de Grand Cayman à bord d’un sous-marin de recherche. Pierre Strinati avait sa place autant au sein des grandes sociétés savantes internationales dont il était membre, de l’Explorers Club (USA) à la Royal Geographical Society britannique, que dans les cercles VIP des collectionneurs de bandes dessinées ou, plus modestement, dans notre association des Amis de la Maison d’Ailleurs qu’il accompagna dès sa création.

Un «savanturier» comme le désignait Roger Gaillard, ancien directeur du musée de la science-fiction sis à Yverdon-les-Bains, un «naturaliste voyageur [… qui] a parcouru le monde pour y voir tout ce que le touriste ne voit pas» (Cuno Affolter et Pierre Sardet, revue Bédéphile, N°1, 2015). Une attirance pour l’invisible, que ce soit caché dans des grottes ou ignoré du grand monde culturel. Le «savanturier» aurait fêté ses 97 ans le 31 octobre dernier. Le terme d’une vie longue, pleine d’aventures et de voyages extraordinaires.