Skip to content

Le Courrier L'essentiel, autrement

Je m'abonne

La foire aux labels alimentaires

La prolifération des labels alimentaires dans la grande distribution «est l’expression du manque de conditions-cadres du marché et de la production agricole», selon Rudi Berli, de l’organisation paysanne Uniterre. Instruments de stratégies commerciales limitées, les labels s’avèrent insuffisants à résoudre les problèmes structurels de l’agriculture suisse. Etat des lieux.
Plus de 50% des fermes suisses produisent aujourd’hui sous les deux labels principaux, IP-Suisse – la Coccinelle et Bio Suisse – le Bourgeon. KEYSTONE
Alimentation

Si l’on fait des courses chez un grand distributeur suisse, on se retrouve face à une profusion, pour ne pas dire confusion, de labels en tout genre. Le commerce s’engage dans une démarche publicitaire permettant de vanter un approvisionnement durable et de proximité, issu d’une agriculture paysanne véhiculant une image idyllique. Nous connaissons cependant l’extrême pression sur les prix et les revenus des paysan·nes, qui les pousse vers l’agrandissement et la spécialisation, avec la disparition des fermes et des conséquences néfastes sur les conditions sociales, l’environnement, l’autonomie et la diversité des fermes.

Ces labels doivent informer le public sur l’origine des produits, les méthodes et les conditions de production. Leur existence et leur prolifération est l’expression du manque de conditions-cadres du marché et de la production agricole. En principe, un produit mis sur le marché devrait répondre à des exigences de durabilité et de qualité définis par la collectivité. Les choix politiques de libéralisation ont délégué cette compétence au seul marché.

Il n’est pas de secret que ce marché est dominé par un duopole et une poignée d’industries de transformation. Dans cette situation, une démarcation du produit est devenue une nécessité pour les producteur·trices qui sont dans une situation de concurrence et de lutte pour des parts de marché. Plus de 50% des fermes suisses produisent aujourd’hui sous les deux labels principaux, à savoir le IP-Suisse – la Coccinelle et Bio Suisse – le Bourgeon.

La délocalisation, l’allongement des canaux d’approvisionnement et l’anonymat des produits transformés sont également une cause de la diffusion des labels qui tentent de combler une traçabilité et de la transparence perdue.

Aperçu historique. Depuis une quarantaine d’années, le nombre de labels pour les produits agricoles alimentaires s’est donc envolé. Le premier label introduit en Suisse fut le label Demeter de l’agriculture biodynamique, créé en 1932 en Allemagne et utilisé pour la première fois en Suisse une année après, quand l’entreprise suisse Holle transforma ces produits.

En 1981, Bio Suisse est créé. La marque du Bourgeon avait déjà été adoptée en 1980. Le partenariat avec la Coop date de 1993.

Au niveau de l’agriculture en production intégrée, l’organisation IP-Suisse s’est formée en 1989; le premier contrat de grande échelle avec l’utilisation de la marque Coccinelle date de 1994 avec la boulangerie Hiestand, suivie par la Migros.
Parmi d’autres labels proches des producteur·trices, il faut mentionner les AOP1>Les AOP (pour Appellation d’origine protégée) identifient les produits suisses élaborés dans leur région d’origine selon des méthodes traditionnelles afin de préserver leur goût authentique. créées en 1999 et Suisse Garantie en 2004.

Qui contrôle les labels et selon quels critères? Sur les 40 labels répertoriés au niveau national, 18 concernent la production bio et 22 la production conventionnelle. 15 labels appartiennent à des entreprises de la grande distribution, y compris Agri Natura, qui appartient au groupe Fenaco. Une évaluation des critères de respect de l’environnement, de compatibilité sociale, de bien-être animal et de crédibilité des labels est réalisée par labelinfo.ch en collaboration avec l’Université des sciences appliquées de Zurich (ZHAW).

Il faut ajouter 55 labels régionaux tout aussi prolifiques et structurés de manière similaire. Ces labels régionaux génèrent un chiffre d’affaires d’environ 1,3 milliard de francs et 4% des ventes totales.

Quels critères d’équité et de durabilité économique?

Une analyse de l’association Marchés équitables Suisse, publiée en juin 2025, montre qu’un tiers des labels ignorent complètement le thème de l’équité – avec des conséquences concernant les moyens d’existence des paysan·nes, l’équité du marché et la crédibilité des plus-values de durabilité. Ce rapport conclut qu’il est urgent de définir des critères clairs et contraignants pour que l’équité ne soit pas seulement une promesse, mais devienne une réalité. Des prix qui couvrent les coûts de production et permettent une rémunération équitable du travail paysan restent essentiels. Parmi les autres facteurs, on peut notamment citer les garanties d’achat à long terme et les relations de partenariat.

Certains labels comme Faireswiss ou Di fair Milch Säuliamt ou sont en main de producteur·trices et s’engagent pour un prix du lait rémunérateur et équitable. Ils prouvent que l’équité est possible.

Un seul label est en propriété publique. Il s’agit de Genève Région-Terre Avenir (GRTA) qui permet d’identifier des produits issus de l’agriculture de la région genevoise. Cette marque a été créée en 2004 par l’Etat de Genève qui en est le détenteur et garant. GRTA offre aux consommateurs·trices l’accès à une nourriture de proximité, obtenue dans le respect de l’environnement, des conditions de travail et à des prix équitables.

Plusieurs labels visent et défendent une transparence par rapport à la valeur ajoutée, des contrats contraignants, des organes de conciliation indépendants et une véritable participation des producteurs·trices. Souvent, ces buts ne sont cependant pas atteints. Pour Uniterre, des prix planchers minimaux devraient être généralisés. Des critères clairs sur le mécanisme de fixation des prix, de la durée des contrats, de la qualité du produit, du calendrier de paiement, avec des acomptes et une sécurité de la planification, ainsi que la transparence du marché doivent devenir une règle pour l’ensemble de la production agricole suisse. C’est la seule façon de créer un système alimentaire qui prend la justice sociale et économique aussi au sérieux que la durabilité écologique.

Et n’oublions pas la vente directe qui est également une solution alternative aux labels, car la confiance est établie directement avec les paysan·nes et permet de mieux communiquer sur les prix justes et les conditions de production. En 2020, la Confédération décomptait 12’676 vendeurs directs pour une part de marché d’environ 5%.

La grande force de ces structures est le regroupement de la production, une gestion de l’offre et un renforcement de la position de négociation face à la grande distribution. L’autre versant est cependant aussi la dépendance très forte vis-à-vis des mêmes acheteurs. La dimension des luttes pour des prix et un revenu du travail équitables n’est pas suffisamment forte et les structures en question sont captives des acheteurs et de la défense de leur part de marché.

Trois grands labels en mains paysannes?

Suisse Garantie. Cette marque, bien que très représentative, n’a aucune composante de lutte pour améliorer la valorisation au niveau de la production. Le label se limite à la seule déclaration de provenance indigène. Malheureusement, il n’engage pas dans une perspective visant à équilibrer les rapports de force entre les producteur·trice·s et la grande distribution.

IP-Suisse. Créée en 1989 en tant qu’Association suisse des paysannes et paysans pratiquant la production intégrée, IP-Suisse regroupe aujourd’hui 18’500 paysan·nes et est l’organisation paysanne la plus importante présente sur les marchés. Les critères de production portent sur le bien-être animal, les systèmes d’affouragement, la biodiversité, ainsi qu’une utilisation limitée ou un renoncement à des produits phytosanitaires. Cet engagement et ces coûts supplémentaires sont compensés par une prime qui complète le prix de base. L’organisation participe aux négociations de prix, sans pour autant exiger et communiquer des prix rémunérateurs. Elle pratique une gestion des quantités au niveau de la production qui ne trouve pas toujours son équivalent chez les acheteurs. Par son histoire, elle est fortement liée à la Migros. Nous n’avons pas trouvé d’indication sur la part de marché d’IP-Suisse ni sur le chiffre d’affaires réalisé par les produits labellisés. L’auteur estime cette part à environ 35% à 40%, pour un chiffre d’affaires proche des 6 milliards de francs.

Bio Suisse. La production bio occupe une part de marché de 12,3% et 7272 fermes produisent selon les directives de Bio Suisse. Le chiffre d’affaires des produits bio est de 4,1 milliards francs. Bien que l’équité soit ancrée dans le cahier des charges, les négociations de prix et la pression de la Coop – dont l’organisation de la structure dépend toujours très fortement – ne permettent pas d’obtenir des prix rémunérateurs et de couvrir les coûts. L’organisation et les structures de commercialisation permettent une gestion des quantités.

Notes[+]

Rudi Berli est secrétaire d’Uniterre, président de la section genevoise. Paru dans Uniterre – le journal paysan indépendant d’août 2025.