Ehsan1>Tous les prénoms cités sont des prénoms d’emprunt., médecin engagé pour l’égalité des genres, et Yasmine vivent à Kaboul avec leurs quatre filles. En août 2021, Ehsan est arrêté au motif qu’il soigne une patiente non accompagnée par un homme et ne portant pas le hijab. Il est battu par les talibans et sa clinique est détruite. La famille s’enfuit début 2022 au Pakistan, où elle dépose une demande de visas humanitaires auprès de l’ambassade suisse. A l’appui, elle fournit l’acte d’arrestation émis par les talibans contre Ehsan et explique que sa sœur et son frère, qui vivent en Suisse, peuvent les accueillir.
L’ambassade suisse rejette leur demande. La famille fait opposition auprès du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) qui refuse à son tour, estimant que la famille n’a pas démontré que leur intégrité physique est «sérieusement et concrètement menacée». La famille dépose un recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF), qui le rejette en mars 2025 sur les mêmes arguments et décrète qu’Ehsan ne risque pas la mort s’il exerce son métier en respectant les règles des talibans.
Concernant les quatre filles, le TAF estime qu’elles ne sont pas «plus particulièrement discriminées que l’ensemble des femmes dans leur pays», et que «dans la mesure où elles ont cessé de suivre leur cursus scolaire, (…) il y a lieu de relativiser la menace invoquée». Le TAF conclut que s’il est «compréhensible» que les recourant·es ne souhaitent pas vivre dans un pays «où ils devront se conformer à des règles rigides et contraires aux droits de l’homme, cette circonstance ne suffit toutefois pas pour justifier l’octroi d’un visa humanitaire».
Ce que rappelle l’histoire de la famille d’Ehsan et Yasmine, c’est à quel point les visas humanitaires – initialement présentés comme une compensation à la suppression des demandes d’asile aux ambassades – sont devenus des coquilles vides. En 2021, le Conseil fédéral s’opposait à la réintroduction de ces demandes en arguant que le visa humanitaire «garantit que les personnes en détresse puissent être aidées rapidement, sans formalités administratives excessives»2>Réponse à la Motion 21.3282, déposée le 18 mars 2021.. Une affirmation que les chiffres contredisent: la Croix-Rouge suisse rapporte qu’alors que près de 10 000 demandes de visas ont été déposées par des ressortissant·es d’Afghanistan durant cette même année 2021, le SEM n’en a octroyé que 37 seulement3>Croix-Rouge suisse, «Visas humanitaires: obstacles majeurs et critères restrictifs», avril 2022..
Mais ce que démontre également le refus adressé à Ehsan, Yasmine et leurs filles, c’est la disposition de la Suisse à normaliser un régime considéré comme terroriste par l’ONU et bafouant allègrement les droits humains, afin de justifier le refoulement de celles et ceux qui le fuient.
En mars 2025, le SEM a annoncé avoir procédé à une «analyse approfondie de la situation en Afghanistan», de laquelle il ressortirait que «la situation générale en matière de sécurité s’est considérablement améliorée»4>«Le SEM ajuste sa pratique en matière d’asile concernant l’Afghanistan», communiqué du SEM du 20 mars 2025.. Par conséquent, il considère que le renvoi vers l’Afghanistan d’hommes majeurs, sans famille ni problèmes de santé et disposant d’un réseau sur place est désormais raisonnablement exigible. En conséquence, entre mars et juin 2025, il a rejeté les demandes d’asile et ordonné le renvoi de 21 Afghans5>Chiffres du SEM transmis en réponse aux questions de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR).. Et peu soucieux des conséquences pour des personnes qui avaient précisément fui leur régime, le SEM a reçu, en août 2025, une délégation des talibans afin d’identifier 13 personnes sous le coup d’une décision de renvoi6>«Le nombre des départs contrôlés se maintient au même niveau qu’en 2024 », communiqué du SEM du 22 août 2025..
Enfin, alors qu’il avait affirmé que son revirement de pratique n’impacterait pas les personnes vivant déjà en Suisse avec un permis de séjour, le SEM n’a pas tardé à trahir ses promesses. D’après ses propres chiffres, à ce jour 16 Afghans au bénéfice d’un permis F ont été informés d’une potentielle levée de leurs autorisations de séjour.
Pour les Afghanes, la persécution en raison du genre est toujours automatiquement reconnue, ce qui leur assure un droit à l’asile. Espérons que le SEM n’osera pas subitement décréter, comme il l’a fait pour les filles d’Ehsan, qu’en renonçant à l’école, en quittant son travail et en restant cloitrées chez soi, en fait, ça va!
Notes