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Le Courrier L'essentiel, autrement

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Un sujet mal connu

Daniel Künzi apporte d’intéressantes précisions sur notre passé colonial.
Histoire

Dans votre édition du 31 juillet, vous consacrez une page sur «Une Suisse coloniale», un sujet encore mal connu selon l’historien Bernhard Schär, longuement interrogé, dont il faut saluer le travail.

Les récents travaux des historiens sur ce thème se centrent trop souvent sur la Suisse coloniale du XVIIIe et XIXe siècle. L’article mentionne les 7600 Suisses enrôlés dans l’armée royale des Indes orientales au XIXe siècle. Bernhard Schär mentionne en outre: «C’est dans les foyers précaires que les élites suisses recrutent les mercenaires loués à l’étranger (…). Il faut rappeler que la majorité de la population helvétique a vécu dans la pauvreté jusque dans la première partie du XXe siècle.»

Il faut rappeler que le phénomène du mercenariat a encore fleuri au cours du XXe siècle. C’est ainsi que, selon l’ouvrage Légion étrangère française (l’histoire et le dictionnaire) dirigé par André-Paul Comor1> Légion étrangère française, dirigé par André-Paul Comor, Ed Bouquins, 2013, près de 6000 Suisses se sont enrôlés au XXe siècle dans la Légion.
Bien que ce sujet ait été traité par l’historien Peter Huber dans son ouvrage Fluchtpunkt Fremdenlegion2> Fluchtpunkt Fremdenlegion, Peter Huber, Ed Chronos 2017, le sujet est encore largement méconnu. A tel point que lors de la récente exposition du Musée d’ethnologie de Genève sur Genève dans le monde colonial, ce thème était absent. Evidemment il ne cadre pas avec la mythologie d’une Suisse humanitaire et particulièrement avec la cité d’Henry Dunant. Les témoignages que j’ai recueilli de la bouche de ces mercenaires ne cessent de me hanter: ils me parlaient de tortures, d’exécutions de prisonniers, de massacres lorsqu’ils avaient «carte blanche», etc.3> C’était la guerre, film de Daniel Künzi, 65 minutes, diffusion RTS-TV5 Monde, 2012

L’un d’eux, Marcel Schüpbach, m’a évoqué sa participation à l’opération Kadesh en Egypte en 1956, lorsqu’une coalition franco-israélienne appuyée par la Grande Bretagne a tenté de s’opposer à la nationalisation du canal de Suez en Egypte. Avant de sauter en parachute, on leur a, me disait-il en riant, rappelé les Conventions de Genève!

Reste encore à explorer la participation des Suisses à la Nakba en Palestine. J’en ai connu un qui a participé au nettoyage ethnique dans le désert du Neguev. Il n’a pas été inquiété à son retour par les autorités helvétiques, alors qu’elles connaissaient sa participation à cette guerre coloniale. Il n’a pas voulu témoigner devant ma caméra.

Daniel Künzi,
cinéaste

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