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Qui peut le moins peut le plus…

Chroniques aventines

Persuadé que pour gagner la «bataille contre la pauvreté» il faut changer l’image de celle-ci, ATD Quart Monde a récemment édité En finir avec les idées fausses sur la pauvreté – un opuscule qui tord le cou de maints préjugés accablant les plus modestes. L’un des intérêts dudit recueil tient en ce qu’il est pour partie fondé sur l’expertise des militant·es d’ATD – à savoir de personnes ayant souffert ou souffrant encore des affres de l’indigence. Cette expérience de la misère a notamment valu au mouvement fondé en France par Joseph Wresinski de contribuer en 1988 à la création du Revenu minimum d’insertion (RMI), en 2000 à l’établissement de la Couverture maladie universelle, (CMU) puis en 2008 à l’inscription dans la loi du Droit au logement opposable (Dalo).

Paru aux Editions de l’Atelier, l’ouvrage reprend et dénonce vingt affabulations courantes. Intéressons-nous à quelques-unes de ces mises au point – à commencer par ce rappel qu’accéder à ses droits n’est pas une sinécure; l’entreprise devient même toujours plus ardue: les hôpitaux, centres d’impôts, tribunaux, caisses d’allocations familiales et autres institutions «sociales» tendent à être de plus en plus regroupés dans les centres urbains – ce qui, dans le «meilleur» des cas, génère des frais et une charge temporelle supplémentaires pour les habitant·es des banlieues et des zones rurales et, dans le pire des cas, est cause de non-recours à certaines prestations.

Dans l’esprit des autorités, cette raréfaction de l’administration physique est compensée par sa présence sur le Net; c’est oublier que les pauvres les plus âgés, les moins diplômés, les moins équipés informatiquement sont pénalisés par la numérisation des démarches. Au total, le taux de non-recours avoisinerait les 30 à 40% en France – un taux qu’expliqueraient non seulement les éléments ci-dessus rappelés, mais également la honte de dépendre de l’aide publique, la crainte d’être stigmatisé et la complexification des procédures.

La publication d’ATD revient aussi sur une expression que l’association a contribué à populariser: la «maltraitance institutionnelle». Cette notion désigne, par exemple, ces formations inutiles qui conditionnent pourtant l’accès à certaines aides, ces logements sociaux insalubres que l’on ne peut refuser sous peine de n’être plus considéré comme prioritaire, etc.

La prolifération des conditionnalités et autres contraintes n’est évidemment pas – pour nos auteur·ices – le gage d’une insertion plus assurée…

Les «bénéficiaires» des politiques sociales sont, en sus, souvent suspectés d’être de potentiels fraudeurs. Les chiffres, toutefois, sont sans appel qui permettent d’invalider cette autre fable: «La fraude des pauvres est une pauvre fraude» observe ATD. Celle aux cotisations sociales – produite par les patrons et les entreprises – est trois à quatre fois supérieure à la fraude aux prestations sociales; celle relative à la fiscalité plus de cinquante fois supérieure… En 2014, une vidéo #Datagueule (66/2016) intitulée «Assistanat: un mythe qui ronge la solidarité», diffusée par France Télévisions, notait que moins de 1% des bénéficiaires du RSA [revenu de solidarité active, qui a remplacé le RMI] avait été convaincu de resquille. Il n’en demeure pas moins que – contre tout bon sens – les pauvres restent les citoyens les plus contrôlés.

Il est commun, en France, de prétendre que les ménages les plus modestes ne paient pas d’impôts. Rien de plus faux: ils s’acquittent a minima de la TVA; or, cette taxe les touche proportionnellement davantage (trois fois plus en moyenne !) que les fortunés. De fait, les citoyens impécunieux n’ayant pas les moyens d’épargner, ils consacrent l’essentiel de leurs revenus à la consommation. Ainsi, en pourcentage, constate ATD, les plus pauvres paient environ 10% d’impôts et de taxes de plus que les mieux pourvus!

La capsule de France Télévisions déjà citée va plus loin encore en signalant que les défavorisés ont des frais de logement plus onéreux, comparativement; les petites surfaces étant les plus recherchées, elles sont proportionnellement plus coûteuses (le mètre carré s’avère généralement plus cher de 5%). Pareil pour ce qui est de la téléphonie mobile: ne pouvant s’engager sur de longs forfaits, les pauvres fonctionnent le plus souvent avec des cartes prépayées: aussi la minute de communication leur revient-elle 15 à 50% plus cher que pour les plus clients plus aisés…

En finir avec les idées fausses sur la pauvreté lève encore maints autres lièvres. Mentionnons-en encore deux pour conclure. D’abord un premier correctif opportun en ces temps de xénophobie galopante: si l’on fait le ratio entre les aides versées à des personnes nées à l’étranger et leur contribution nette au PIB, l’immigration rapporte plus qu’elle ne coûte!

La seconde contrevérité fait écho au préjugé suivant lequel bien des chômeurs rechigneraient à travailler (on se remémore la saillie péremptoire du président Macron certifiant qu’il suffisait de traverser la rue pour trouver du travail). Or, la plupart des emplois vacants le sont le plus souvent à cause de l’incompatibilité des profils des postulants et du fait de contraintes géographiques bien plus que d’une quelconque paresse des demandeurs.

En terminant notre lecture, une conviction nous étreint avec force: cessons d’attenter aux pauvres et luttons contre la pauvreté elle-même. Cessons de croire que la panacée se nicherait dans un marché erratique (tout juste régulé à la marge) et osons projeter une intervention économique volontaire partant de besoins sociaux démocratiquement délibérés.

Mathieu Menghini est historien et théoricien de l’action culturelle.(mathieu.menghini@sunrise.ch).

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