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Orthographe: l’étude qui inquiète

Pourquoi les élèves écrivent-ils si «mal» le français? Viviane Luisier réagit au constat issu de la récente étude* nationale sur les compétences fondamentales des élèves en cours de scolarité obligatoire, largement médiatisée**, qui fait état des lacunes orthographiques des élèves romands.
Réflexion

Selon la dernière étude nationale menée par les cantons, la moitié des élèves romands arrivent à la fin de l’école obligatoire sans maîtriser le français écrit. Ce test a été proposé aux élèves sur tablette et il a fallu répondre à 60 questions en 10 minutes. En Suisse, les élèves allophones sont nombreux; ce niveau d’orthographe insuffisant touche les élèves qui parlent français, mais moins ceux qui parlent allemand ou italien. L’étude mentionne l’importance du milieu socio-économique défavorisé comme un des facteurs pouvant prétériter les enfants dans leurs apprentissages.

L’orthographe aujourd’hui. Pour différentes raisons liées entre autres à l’évolution de la société et des techniques de communication, la place de l’orthographe a perdu de l’importance. Du moins, c’est ce que disent les élèves et certain·es enseignant·es: qui s’intéresse encore à l’orthographe à l’heure où internet est à disposition de tout le monde? Même des professeurs puristes n’arrivent pas à détecter l’IA dans les copies de leurs élèves, à qui ils attribuent d’excellentes notes! Alors pourquoi se prendre la tête?

Mais l’orthographe n’a-t-elle vraiment plus d’importance? Dans le cadre scolaire ou professionnel, celui ou celle qui écrit «mal» est pourtant souvent stigmatisé·e comme ne maîtrisant pas les codes de la société cultivée, bien élevée, élevée.

L’orthographe reste une marque forte de l’appartenance à une classe sociale. Et cela, même si, paradoxalement, les enfants de la «bonne» société ne maîtrisent pas tous non plus l’orthographe française!

La faute de l’orthographe. Le livre intitulé La faute de l’orthographe1>Arnaud Hoedt, Jérôme Piron (2016), La convivialité. La faute de l’orthographe, Paris, Textuel. passe en revue les difficultés de notre langue, en nous faisant rire, pleurer, déculpabiliser. Dérangeant, ce livre, pour qui aime la belle langue française et sait l’écrire «correctement». L’amour de l’étymologie et la détestation des anglicismes, par exemple, se sentent ébranlés par les points de vue documentés aux plans linguistique et sociologique. Eclairant aussi, ce livre qui touche plusieurs questions délicates, telles: l’opacité du français qui arrive si peu souvent à «1 son = 1 lettre » et «1 lettre = 1 son», la langue comme outil de sélection sociale, les profs utilisant trop librement cet outil de discrimination.

Les deux auteurs observent que, souvent, alors que leurs grands-mères ont dû quitter l’école à 14 ans pour aller travailler, elles n’étaient pas «mauvaises» en orthographe. Probablement parce qu’on étudiait beaucoup l’orthographe. Mais bien des matières enseignées aujourd’hui ne l’étaient pas dans les années 1950. Alors faudrait-il enseigner l’orthographe de manière plus insistante, quitte à diminuer le temps dédié à des matières scientifiques, par exemple?

Quel remède pour soigner l’orthographe? Avant de penser au remède contre l’orthographe en déconfiture, il faut s’arrêter un instant sur le rôle de l’école. On pense encore aujourd’hui que l’école devrait permettre à tous et toutes d’accéder à un minimum de connaissances et d’habiletés. En un mot, elle devrait être le lieu où l’on apprend à réfléchir, à discuter, à lire et à écrire, afin d’être utiles à la société une fois adultes.

Cela implique une formation et une sélection des enseignant·es qui soit transparente. La charte de leur engagement devrait être connue du public, en particulier des enfants. Et cette charte devrait au minimum assurer à tous les enfants l’accès à la parole, à la lecture, à l’écriture.

Un remède bien différent, bien plus complexe, bien plus enthousiasmant que ce que demande le président de la Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), Christophe Darbellay, qui prescrit… la dictée.

Notes[+]

Vivianne Luisier est une ancienne enseignante, sage-femme et tutrice de l’association Reliance auprès des enfants et des jeunes en difficultés scolaires et de formation.

* Communiqué de la CDIP: www.cdep.ch/fr/la-cdip/actualites/cp25052025

** Lire l’article du Courrier: https://lecourrier.ch/2025/05/23/le-francais-a-rude-epreuve/