Au cours des trois dernières années de guerre en Ukraine, j’ai travaillé avec Médecins Sans Frontières (MSF) afin de répondre aux besoins en santé mentale dans le nord-est du pays, auprès des personnes déplacées et des vétéran·es de guerre. D’une manière ou d’une autre, tout le monde a été affecté par ce conflit, en tant que témoin de la violence, après avoir dû abandonner sa ville et sa vie, ou encore après la perte d’un·e proche. Les vétéran·es ukrainien·nes rentrent chez eux avec des blessures de guerre invisibles, telles que des lésions cérébrales traumatiques acquises au combat ou des troubles de stress post-traumatique (TSPT).
Un TSPT se manifeste par de l’anxiété, des troubles du sommeil, des changements d’humeur, des difficultés à gérer ses émotions ou un sentiment d’alerte permanent. Chacun·e réagit différemment à ces événements traumatiques. Pour certain·es, un sentiment de désespoir et d’impuissance peut émerger, comme s’ils ou elles devaient vivre avec un TSPT toute leur vie. Pourtant, des prises en charge efficaces existent, et il est possible de soulager les effets du TSPT en apprenant à gérer ses symptômes. Encore faut-il avoir accès aux bons outils.
Apprendre auprès des vétéran·es étasunien·nes. J’ai auparavant travaillé comme thérapeute en réadaptation et responsable des soins infirmiers au centre médical de l’administration des vétéran·es étasunien·nes à Nashville, dans le Tennessee. Au début des années 2000, nous avons beaucoup appris sur le traitement du TSPT lorsque les soldat·es américain·es sont rentré·es des guerres d’Afghanistan et d’Irak. Cela a conduit à des recherches sur les effets de la guerre sur la santé mentale – notamment le TSPT, la dépression et les lésions cérébrales traumatiques. Ces travaux ont permis l’élaboration de thérapies fondées sur des données probantes, qui se sont révélées efficaces pour de nombreuses personnes.
A Vinnytsia, nous avons mis en place ces approches validées scientifiquement, via une clinique spécialisée, appelée le Centre de traitement du TSPT, où nous proposons des soins aux vétéran·es de l’armée ainsi qu’aux personnes déplacées de la région et d’ailleurs. Nous avons introduit la thérapie EMDR (désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires). Il s’agit d’un moyen d’aider les patient·es à traiter leurs souvenirs traumatiques pour qu’ils soient stockés différemment dans leur cerveau. Les psychologues demandent aux patient·es de se remémorer et de partager les détails de leurs expériences traumatiques tout en leur fournissant une stimulation sensorielle – par exemple, en bougeant un doigt que le ou la patient·e suit des yeux. L’objectif, ici, est de créer de nouvelles connexions neuronales, modifiant la manière dont le souvenir est enregistré, ce qui entraîne une réduction des symptômes liés au traumatisme.
Une approche prometteuse, malgré des défis. Les bilans réguliers nous permettent de constater une diminution progressive des cauchemars et des troubles du sommeil, pour ne citer que quelques exemples. Toutefois, plusieurs défis persistent. La dépendance à l’alcool est fréquente chez les personnes vivant avec un TSPT en Ukraine. De plus, la stigmatisation qui entoure les troubles psychiques reste forte en Ukraine, comme aux Etats-Unis et dans d’autres pays où j’ai exercé.
Cependant, nous avons constaté que lorsqu’une personne vit une expérience positive de sa prise en charge, elle en parle à sa famille et à ses proches, ce qui incite d’autres personnes à consulter. Aujourd’hui, une centaine de patient·es sont pris·es en charge chaque mois dans notre centre de traitement du TSPT, et nous espérons poursuivre cet effort dans les années à venir, ainsi que former des professionnel·les pour développer des programmes similaires à l’échelle du pays.