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Le Courrier L'essentiel, autrement

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Deal de rue: un débat mal posé

Les Veveysan·nes auront à voter ce 29 juin sur un projet d’installation de caméras de surveillance autour de la gare en vue de dissuader le trafic de drogue. Marco Motta interroge la pertinence d’une telle mesure.
Vaud

Alors que Vevey s’apprête à voter un crédit pour installer des caméras de surveillance censées prévenir le deal de rue, le débat passe à côté de l’essentiel. Derrière le deal de rue se cache une précarité produite par nos propres politiques migratoires – et que l’on choisit d’ignorer.

Ces dernières semaines, la polémique enfle autour des «dealers» près de la gare de Vevey. Le 29 juin, les habitant·es sont appelé·es à se prononcer sur un crédit de 799 700 francs destiné à l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance. Mais ce vote reflète une double impasse: un problème mal posé et une solution inadaptée.
Le vote repose sur un diagnostic erroné. Le deal de rue, tel qu’il est mis en scène par une partie de la classe politique, des médias et de l’opinion, est présenté comme le cœur du problème. Or, ce n’est qu’un symptôme. Et en s’attaquant à ce symptôme, on passe à côté du fond – ce qui garantit l’échec de la réponse.

Alors, de quoi le deal est-il le symptôme? Pour le comprendre, il faut s’intéresser à ceux qui occupent ces coins de rue: des personnes souvent déboutées de l’asile ou admises à titre provisoire dans l’attente d’un renvoi et en situation de grande précarité. Prenons l’exemple de Jason, 28 ans. Débouté, interdit de travail, privé d’aide sociale, il survit sans revenu légal. Il ne peut ni véritablement habiter, ni vraiment quitter. Les 9,50 francs par jour d’aide d’urgence qu’il recevait autrefois ne sont plus qu’un souvenir: les démarches administratives nécessaires à leur renouvellement sont devenues un parcours d’obstacles. Sans logement, Jason dort où il peut. Il est bien plus souvent arrêté ou détenu que d’autres, notamment à cause de sa couleur de peau, et vit sous la menace constante de l’expulsion. La récente mort de Michael à Lausanne rappelle cruellement que certaines vies, de fait, sont plus exposées que d’autres – jusqu’à la disparition.

Ces parcours brisés sont le reflet direct de nos politiques migratoires. En restreignant toujours davantage les droits des personnes exilées, en les privant de toute perspective d’insertion, l’Etat les pousse dans l’ombre, les précarise, puis les criminalise. Il ne s’agit pas d’un enchaînement fortuit: il est systémique. Et l’une des seules issues laissées à ces personnes, c’est la rue – et parfois le deal.

Soyons clairs: si ces personnes avaient le choix, elles quitteraient la rue. Le gain que leur rapporte la vente de drogue est très modeste, souvent inférieur au salaire minimum légal. Personne ne traverse des milliers de kilomètres au péril de sa vie pour venir vendre quelques grammes de produits illicites dans une ville suisse. Cette existence clandestine, si incertaine et funeste, va à l’encontre de leurs aspirations, de leur morale, souvent de leur foi. Elle est aussi parfois le symptôme d’un échec personnel. Si elles restent dans la rue, c’est parce qu’on ne leur laisse aucune alternative.

Dans ce contexte, le projet de vidéosurveillance apparaît triplement inefficace et problématique: il déplacera l’activité, sans la faire disparaître; il mettra sous surveillance l’ensemble des usagers de la gare; et il contribuera à renforcer l’exclusion de personnes déjà rejetées. Est-ce cela notre horizon politique? Chacun aura compris qu’il existe un usage intelligent, rationnel et véritablement profitable à la collectivité de cette somme colossale autrement dépensée en pure perte.

Marco Motta est anthropologue.