La résistance aux antimicrobiens est reconnue par l’OMS comme l’une des dix principales menaces pour la santé publique: elle concernait quelque 5 millions de décès par an en 2023, selon l’agence onusienne. On sait depuis longtemps que la pénicilline, premier antibiotique découvert il y a près de 100 ans, n’est plus efficace contre la plupart des germes qui, par sélection, ont développé une capacité à se défendre. De nouvelles molécules sont heureusement apparues depuis lors. Hélas, on se retrouve face à de nouvelles résistances, y compris dans nos régions, plutôt liées à des contaminations nosocomiales contre lesquelles plus aucun antibiotique n’est efficace: le ou la patient·e est emporté·e par une infection généralisée, dite septicémie.
Pour rappel, les antibiotiques ont permis, durant le demi-siècle dernier, de juguler beaucoup d’infections, et donc de guérir des patient·es qui auparavant en décédaient. Etant bien supportés par l’organisme, ces antibiotiques ont été – et sont hélas encore – utilisés de manière très libérale, et pas toujours à bon escient. C’est pourquoi on a vu apparaître chez nous des campagnes de prévention visant à diminuer l’usage de ces médicaments – en particulier le slogan «les antibiotiques, ce n’est pas automatique» rappelant que la plupart des infections sont virales [auquel cas un traitement par antibiotiques est inefficace]. De même, l’usage d’antibiotiques prophylactiques dans l’élevage intensif (essentiellement pour des raisons de rentabilité) est mieux régulé et contrôlé dans nos pays.
La lutte contre l’antibiorésistance ne s’avère possible (et encore) que dans la mesure où le système de santé est doté d’une bonne gouvernance et que les médecins disposent de marqueurs sanguins permettant de différencier une infection bactérienne d’une infection virale, vu que les signes cliniques sont parfois proches. Par ailleurs, en situation hospitalière, la capacité à déterminer les germes responsables de la maladie, ainsi que leur sensibilité aux différents antibiotiques, est essentielle pour cibler le meilleur traitement et si nécessaire isoler la personne porteuse d’un germe particulièrement résistant afin de réduire les risques de contamination d’un·e voisin·e de chambre.
Un récent article1> A. Filali, P. Valladares, «Antibiorésistance en zones de conflits: une problématique négligée», Rev Med Suisse, no 916, 30 avril 2025. paru dans la Revue médicale suisse montre combien les zones de conflits armés aggravent le risque d’antibiorésistance non seulement sur place, mais bien évidemment partout, potentiellement, sur la planète – les agents infectieux ne connaissent pas de frontières. L’article fait référence à des études menées au Moyen-Orient – Irak, Syrie et Yémen entre 2000 et 2020, mais aussi à Gaza (avant le 7 octobre 2023) – ou encore en Ukraine depuis février 2022. Avant l’invasion russe, l’Ukraine était déjà connue pour son usage non contrôlé des antibiotiques en vente libre, avec un risque de contrefaçon important. Le pays détient depuis longtemps un des taux les plus hauts au monde de tuberculose multirésistante. Cela dit, une étude récente montre que chez 58% des patient·es (d’un collectif de 140) opérés d’urgence pour des éclats d’obus et des fractures infectées, le germe responsable résistait même aux antibiotiques les plus récents, compliquant grandement la prise en charge.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation: la destruction des infrastructures de soins, le manque de personnel soignant (qui fuit les zones de conflits), des ressources sanitaires ne suffisant plus à répondre aux besoins d’hygiène de base, une surcharge hospitalière venant augmenter la transmission des infections. Mais aussi la nature des blessures par arme et le délai d’attente pour recevoir une intervention chirurgicale, qui rendent le risque infectieux plus grand. C’est pourquoi se pratique un recours indiscriminé d’antibiotiques à usage «préventif» – ce qui est de fait plutôt légitime.
A ce contexte, il faut encore ajouter les déplacements de populations et la création de camps provisoires aux conditions sanitaires précaires. Et un facteur encore peu connu qui est celui du rôle des métaux lourds. Ceux-ci sont de plus en plus utilisés dans les armes. En effet, le chrome, le cuivre, le plomb, le nickel ou le zinc sont utilisés pour recouvrir les balles, les missiles, les véhicules militaires, etc. Libérés dans l’environnement – par exemple lorsqu’un obus explose –, ces métaux induisent des changements génétiques (de protection) des bactéries, qui potentialisent le risque de résistance aux antibiotiques.
L’article en question conclut: «Les conflits altèrent l’environnement de façon profonde et durable et contribuent à générer un nouvel écosystème toxique dont les bactéries sont les témoins vivants.» De plus, cela perdurera au-delà du conflit… tout comme les mines antipersonnel.
A méditer, en ces temps où les pays – dont le nôtre – ne songent qu’à augmenter leurs dépenses militaires.
Notes