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Le Courrier L'essentiel, autrement

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Poésie d’une haine invisible

Cette chronique littéraire a été écrite par un étudiant en Lettres de l’université de Genève, dans le cadre de l’atelier d’écriture animé par Marko Vucetic.
L'atelier d'écriture

Peu de mots permettent de décrire le déploiement subtil qu’entame Le Cantonnement, premier roman magistral de la Sud-Africaine Ronelda S. Kamfer. Derrière la douloureuse et violente histoire de Nadia et Xavie McKlinney, c’est toute une généalogie du traumatisme qui dévoile ses racines. Les deux cousins, issus d’une génération encore marquée par l’apartheid à peine révoqué au début de leur adolescence, portent son douloureux héritage. Métis, donc doublement rejetés, à la frontière du blanc et du noir, ils se débattent dans le silence d’une haine indicible, eux, fruits pourris de parents abusifs, eux-mêmes détruits par la matrice originelle du mal, la «reine mère du mensonge», leur grand-mère Sylvia.

Au fil d’une narration alternée, Nadia et Xavie évoquent des fragments de leurs vies, leurs cousins, l’Afrique, leurs traumatismes, avec une colère de plus en plus lasse et pourtant toujours plus volcanique, toujours plus palpable. Un magma goudronneux, symbole d’une génération qui crie pour se soigner, pour enfin exister. Sans nuance, sans pudeur, ils s’expriment et touchent paradoxalement au sublime, loin des filtres que l’on applique parfois jusqu’à l’âme.

En effet, il y a, simultanément, dans ce déploiement de souffrance et de haine brute que l’on vomit, une poésie absolument déchirante et merveilleuse. Certaines phrases restent gravées dans la rétine et dans le cœur pendant des heures et des jours. On n’a qu’une seule envie: continuer la lecture en espérant secrètement que tout s’arrange.

Ronelda S. Kamfer, Le Cantonnement, trad. du kaaps par Georges Lory, Ed. Zoé, 2025, 288 pp.