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Déraciner les germes du racisme anti-Noirs

Dénonçant la présence d’un racisme systémique anti-Noirs qui perdure dans les pays occidentaux, Alain Tito Mabiala estime les stratégies de déconstruction des préjugés racistes inefficaces. Parmi les pistes qu’il s’agirait de privilégier: l’éducation à l’histoire de l’esclavage.
Société

Dans son livre intitulé Corps noirs et médecins blancs: La fabrique du préjugé racial, XIXe-XXe siècles (La Découverte, 2021), Delphine Peiretti-Courtis explique comment la médecine française a construit les préjugés raciaux sur les Noirs d’Afrique et comment, malgré leur invalidation, ces préjugés continuent à nuire. Ce qui amène à se demander si le racisme est un fait de mauvaise foi de la part de ceux qui en font preuve. Je ne le pense pas. Le nœud de l’histoire se trouve dans les discours sur l’être noir ou tout être différent de la société occidentale.

L’Occident a façonné la définition de tout ce qui lui était différent en usant de ses sciences, de ses méthodes et de sa culture dans une forme de prépotence. Le théoricien Edward Saïd dénonçait dans l’orientalisme cette façon de penser ayant abouti à l’édification de schémas occidentaux constructeurs à la fois de l’identité et de l’infériorité de l’Autre. Selon la même logique, National Geographic a reconnu en 2018 le caractère raciste de ses reportages «sur des décennies»1>www.nationalgeographic.com/magazine/article/from-the-editor-race-racism-history?utm; lire aussi S. Revello, «L’autocritique du National Geographic», Le Temps, 14 mars 2018, https://tinyurl.com/2njkyuyf; or ceux-ci ont participé à forger un racisme insidieux. Sans le dire ouvertement, National Geographic faisait l’apologie de la supériorité occidentale à travers ses analyses dénigrantes vis-à-vis de toute altérité, appuyées par l’anthropologie et la sociologie occidentales. De cet aperçu, on peut dire que les substrats du racisme sont systémiques et culturels (Pierre Tevanian, La Mécanique raciste, 2017, La Découverte).

Ce racisme s’étend dans la société malgré les campagnes de sensibilisation. Le mal perdure en dépit de toutes les théories énonçant les ressorts de sa mise en place et ses conséquences sur ses victimes. Le sujet devient controversé dès que l’on creuse ses origines en mettant à mal les prouesses culturelles idéologiques de l’Occident. Ce racisme décrié est présent partout: dans les services publics censés favoriser l’inclusivité et la diversité, comme dans la sphère privée. Il peut être visible ou sournois, conscient ou inconscient – et difficilement décelable si l’on ne dispose pas de codes.

S’il prolifère, c’est qu’il repose sur des considérations héritées entre générations, du fait de l’existence d’un espace propice à sa diffusion, d’une culture où se trouvent les graines de sa fructification et d’un manque de stratégie adéquate de contre-éducation visant à prémunir les esprits contre sa nature infecte et les dangers qu’elle représente pour la démocratie et le développement de la multiculturalité.

Défaire cette idéologie par une «semaine contre le racisme», c’est bien beau. Mais, le phénomène étant quotidien, il serait logique de faire de la sensibilisation antiraciste une campagne permanente. L’éducation s’avérerait être un outil important avec le développement de contenus pédagogiques appropriés, depuis l’école primaire jusque dans les administrations publiques et privées. Dans le but non pas de culpabiliser, mais de désamorcer la pensée raciste dès le plus jeune âge – dès l’instant où surgissent l’essentialisation et la stigmatisation.

Laura Mottiez2>Mottiez, L. (2023), «Enseigner l’histoire de l’esclavage: Enquête dans les gymnases vaudois et comparaison internationale», Mémoire de maîtrise, UNIL, Faculté des lettres, Histoire. met en lumière les défis liés à l’enseignement sur l’esclavage dans le canton de Vaud, en insistant sur la prise en compte d’un contexte multiethnique tendu, de la dureté des thématiques, de la transmission de l’histoire de l’esclavage et ses dérives sans choquer inutilement, de la formation des enseignant·es à la bibliographie autour du sujet.

Approfondir la question de l’enseignement sur l’esclavage à l’école pourrait s’avérer être une des bases d’une stratégie mieux élaborée autour de la déconstruction des préjugés à travers lesquels germe le racisme. Et ainsi cimenter la multiculturalité et l’inclusivité.

Notes[+]

Alain Tito Mabiala est journaliste et écrivain congolais exilé en Suisse.