L’annonce par le milliardaire philanthrope Michael Bloomberg qu’il allait combler l’arrêt des contributions américaines à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), c’est un peu l’arbre qui cache la forêt des philanthropes et fondations tétanisées par la réélection de Trump. Face aux quelque 60 mesures prises en à peine deux mois par l’administration Trump-Vance pour réduire ou supprimer les réglementations et lois fédérales en faveur du climat, face au désengagement quasi complet des Etats-Unis sur le plan international: sortie de l’Accord de Paris, sortie du fonds «pertes et dommages», sortie des Just Energy Transition Partnerships, coupes drastiques dans l’aide au développement… les principaux acteurs de la philanthropie climatique font preuve d’une exceptionnelle retenue.
Il n’y a pas si longtemps, ils se vantaient pourtant de leurs exploits et des mérites de leur action. Ils mettaient en avant leur capacité à «prendre des risques». Au lendemain de la COP de Paris (2015), ils se vantaient d’avoir «aidé à créer les bases de l’Accord [de Paris]». Plus récemment, en 2019, Larry Kramer, alors président de la puissante fondation Hewlett, s’enorgueillissait de faire partie de «l’un des mouvements philanthropiques les plus performants de l’histoire». Les chevilles bien enflées, ils nous expliquait que, sans la philanthropie, on serait à coup sûr sur une trajectoire de +5/+6 degrés, au lieu de la trajectoire actuelle de +2,7/+3,23.Rien que ça!
Aujourd’hui, la discrétion est de mise. Et dans les rares occasions où un philanthrope ou responsable de fondation s’exprime publiquement, c’est pour minimiser l’impact de Trump sur leurs efforts et la transition bas carbone en général. Ce sont «l’économie, les prix et les marchés» et rien d’autre, nous assure le richissime homme d’affaires et philanthrope Tom Steyer, qui portent la transition énergétique. De son côté, Bloomberg estime que «les défis auxquels font face [les Etats-Unis] ne peuvent être relevés avec succès qu’avec un compromis bipartisan5.»
La transition bas carbone n’est ni de droite ni de gauche, mais transpartisane, nous assènent-ils. Pour Jonathan Pershing, le directeur du programme environnement de la fondation Hewlett, l’heure est au pragmatisme: «Je pense qu’on va voir des domaines où il peut y avoir un alignement.» Peu importe qu’un tel pragmatisme suppose de travailler avec un gouvernement d’extrême droite, climatosceptique et partisan d’un nettoyage ethnique à Gaza.
Méthode Coué ou conviction profonde? Ce qui est certain, c’est qu’en séparant climat et politique, Pershing, Steyer, Bloomberg et les autres se dépeignent en acteurs apolitiques uniquement guidés par la science. Dit autrement, et très opportunément, en dépolitisant l’enjeu climatique, ils se dépolitisent eux-mêmes (du moins en apparence) et ils dépolitisent les quelque 4,8 milliards de dollars qu’ils ont collectivement consacrés en 2023 pour le climat.
Or, leur philanthropie est et a toujours été éminemment politique. Au cours des vingt dernières années, elle s’est faite au service d’une approche particulière de l’enjeu climatique et de la meilleure manière d’y faire face. Une approche qui fait la part belle aux entreprises, aux investisseurs, aux solutions de marché et au technosolutionnisme. Une approche qui privatise les bénéfices et collectivise les coûts en faisant largement porter aux Etats – et donc aux contribuables – les risques financiers liés à la transition. Une approche qui ne se contente pas seulement d’ignorer les questions de justice sociale mais qui les marginalise délibérément. Une approche qui, au nom de l’urgence et des limites planétaires, étouffe les expressions de solidarité envers le peuple palestinien. Une approche, enfin, qui a inspiré l’Accord de Paris et les politiques climatiques récentes comme le Green Deal européen ou le Inflation Reduction Act (IRA) aux Etats-Unis.
En restant discrets ou en s’affichant comme des acteurs apolitiques, les principaux philanthropes du climat cherchent à minimiser leurs propres responsabilités dans la situation actuelle. Ils veulent nous faire oublier le fait que les politiques climatiques qu’ils ont si ardemment promues et défendues, en faisant fi des questions de justice, ont détourné les classes populaires de l’enjeu climatique, démobilisé une partie de la gauche, et contribué au retour de Trump. Face au miroir de leurs propres échecs et responsabilités, les philanthropes du climat regardent ailleurs.