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«Les ‘déniants’ se construisent un monde évitant»

«D’aucuns réagissent au diagnostic climatique comme ils le feraient si un cancer avancé leur était annoncé… la faute au ‘déni’!» Lucien Gamba, médecin, scrute le processus «humain» qui se cache derrière cette occultation du désastre annoncé, «alors que le sujet est déterminant pour la vie». Réflexion.
Climat

La psychiatre Elisabeth Kübler-Ross a décrit les étapes vécues par les individus diagnostiqués d’une maladie mortelle. Au début il y a le déni (diagnostic contesté) avec, dite ou non, la colère à affronter cette possible échéance ultime vers l’acceptation, mais pas toujours, avec ses marchandages. Si l’individu traîne, l’issue fatale est inéluctable. Le diagnostic climatique est grave; d’aucun·es l’occultent (nient les études du GIEC, parlent des catastrophistes!); en fait ce pronostic de mort les terrorise (réveil d’anciens «abandons»). Figeant l’action, leur déni accélère le processus final. (Le déni, fabrique de l’aveuglement, Serge Tisseron, 2022).

Les «déniants» se construisent un monde évitant le réveil de souffrances précoces et y prennent le pouvoir ou suivent des guides confirmant leur déni. Ils évitent les débats scientifiques, car ils sont sans contre-argument – il n’y en a pas. Ils inventent des slogans, se regroupent entre eux et proclament leur fausse vérité, sûrs d’avoir raison, puisqu’ils disent tous la même chose! Le débat d’idées sans base scientifique est un leurre intersubjectif, grave danger pour la démocratie, le présent le confirme!

Le déni est venu avec Homo, avec l’étape d’attachement périnatal et la peur mortelle d’être abandonné par le guide, parfois imparfait; adultes, peu d’entre nous s’en sont guéris! Au Moyen Age, le déni a pris la forme du pouvoir suzerain, protecteur-dominateur de ses vassaux (en fait ses esclaves). De nos jours, nos suzerains sont gouvernants et grands entrepreneurs (quelque 15% des individus détenant 90% des biens), adeptes du néolibéralisme ou de son rejet, l’antilibéralisme, qui ont dénaturé les lois du vrai libéralisme issu de la physique des systèmes dont le vivant (cybernétique), qui dit: tous les éléments d’un système doivent jouir de liberté, limitée par la liberté des autres éléments et avec l’absolue finalité d’une réalisation équilibrée et durable du système entier. L’oubli d’une seule de ces lois scientifiques déstabilise tout le système qui ira à sa dissolution!

Face à notre crise climatique, les attitudes oscillent entre déni-repli et colère. Les personnes misant sur la preuve scientifique acceptent mieux les faits et le danger annoncé; elles veulent des actes rééquilibrant la vie. Les jeunes sont soit en déni (leur peur, fondée, les fait fuir «ailleurs»), soit révoltés d’hériter d’un monde délabré par une intelligentsia niant le pire annoncé par la science (Voici le temps du monde fini, Albert Jaccard, 1991); ces écocides ont pris le pouvoir pour une fuite en avant effrénée favorisant aussi leurs intérêts; ainsi ils optent pour la mort du Vivant et le suicide collectif! Les plus âgés, en ignorance ou déni, sortis de leur léthargie, tentent parfois de corriger la situation pour changer ce fonctionnement sociétal. Mais, réseaux sociaux «manipulés» obligent, le rapport des forces en pouvoir d’informations leurs est fortement contraire.

Il faut se bouger (Réveillons-nous!, Edgar Morin, 2022) et soutenir les options pour cette «ré-volution» (retour vers les fondements du Vivant). Cela demandera à toutes et tous des renoncements (mais impactant surtout les finances de la minorité possédante déniante!), il faudra de la créativité, accepter le changement, l’encadrer… avec à terme une meilleure qualité de vie! (Prof. Julia Steinberger, Le Courrier du 17 janvier 2025). Il est encore temps d’agir, mais dans dix ans, ce revirement devra être en place, opérationnel. Une élévation de la température générale (limite supérieure déjà atteinte) aggravera l’actuel climat sans amélioration possible durant plus d’un siècle! Chacun·e est libre de sa décision, mais si elle ne respecte pas l’autre, il faut l’entraver; en 2025, elle constitue un crime contre le Vivant!

Il ne faut pas «juger coupable» le responsable (piégé par son déni), mais l’empêcher de nuire. C’est la stratégie face aux malades dangereux pour les autres. Comme rappelé il y a peu (Kohei Saito, Le Courrier du 17 janvier 2025), il faudra aussi renoncer au capitalisme décontrôlé et au communisme dictatorial. C’est, plus que jamais, par nos votes que tout se jouera. Choisissons le vivant pour nos descendants, battons le tambour dans ce sens auprès de nos amis et qu’ils en fassent de même par effet «boule de neige», afin de contrebalancer la désinformation inondant les réseaux sociaux.

Lucien Gamba est médecin généraliste, immunologue et psychosomaticien, Genève.