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Le Courrier L'essentiel, autrement

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Deux actualités qui s’entrechoquent

Valentina Hemmeler Maïga juge indispensable que la Suisse fasse preuve d’un sursaut d’humanité et de respect du droit international et humanitaire.
Conflit

Au début des années quatre-vingt, comme des milliers d’autres enfants genevois, j’ai participé à la vente de timbres en faveur de Pro Juventute. Dans ma naïveté d’enfant, cette action, bien encadrée par l’école genevoise, ne pouvait qu’être noble. Au début des années nonante, alors adolescente, le scandale Pro Juventute «les enfants de la grande route» éclate. J’en suis profondément affectée; à mon tout petit niveau, j’y ai contribué. Epilogue cette semaine, l’avis de droit tombe: la Suisse admet s’être rendue coupable de crime contre l’humanité en ciblant et persécutant systématiquement des communautés, les Yéniches et les Manouches/Sintés, en arrachant des milliers d’enfants à leur famille et en les plaçant dans des familles ou des institutions où nombre d’entre eux ont subi maltraitance et travail forcé.

Cette même semaine, un énième vote d’une commission du parlement suisse se solde par la volonté de supprimer l’aide suisse à l’UNRWA, organisme onusien créé en 1949 par l’Assemblée générale des Nations unies pour prendre en charge les réfugiés palestiniens. Organisme qui est considéré par la plupart des Etats financeurs et par les ONG comme le seul à même de relever le défi de soutenir les réfugiés palestiniens (santé, éducation, aide sociale etc.).

Comment ne pas faire un parallèle et se poser la question d’une perception du monde où la vie d’un Palestinien, d’un Yéniche ou d’un Manouche vaut moins que celle d’un Israélien ou d’un Suisse? Preuve en est la compassion à géométrie variable entre l’émotion suscitée par le retour de deux enfants israéliens kidnappés à Gaza et décédés en captivité et la mort de plus de 14 500 enfants palestiniens pendant la même période. Je pose l’hypothèse suivante sur les mécanismes en œuvre: d’une part un racisme primaire où chaque vie n’a pas la même valeur à nos yeux. A cela s’ajoute, pour certains, des croyances religieuses qui continuent de confondre la Bible avec un registre foncier et qui donnent plus de valeur humaine à un peuple considéré comme «élu» par rapport aux autres habitants du Proche Orient.

Aujourd’hui la Suisse, dépositaire des Conventions de Genève, est à la croisée des chemins. Ou elle prend son rôle à sa juste valeur et ne peut que soutenir l’UNRWA comme la plupart des Etats financeurs, ne serait-ce que pour conserver sa réputation déjà largement entachée par ces atermoiements sur ce dossier. Ou elle prend le risque de devoir assumer, dans quelques années, d’être jugée comme complice de crime contre l’humanité, voire, la justice se prononcera, comme complice de génocide.

Je suis éternellement reconnaissante aux Justes de Suisse et d’ailleurs qui, dans les années quarante, ont sauvé des milliers de juifs de l’enfer nazi au péril de leur vie. Mais aujourd’hui, où sont les Justes? Nous n’aurons aucune excuse, personne ne pourra dire «nous ne savions pas!» Rappelons que les Palestiniens ne sont en rien responsables de la folie nazie allemande et de celles des autres Etats voisins qui se sont embarqués dans cet atroce génocide. Les Palestiniens subissent à corps défendant, depuis plus de septante ans, notre propre culpabilité d’avoir contribué à l’Holocauste (par nos actes ou notre silence) et notre besoin irrépressible de «nous racheter» de ces années sombres quel qu’en soit le prix pour les Palestiniens et pour notre honnêteté intellectuelle.

Un sursaut d’humanité, de respect du droit international et humanitaire est indispensable; c’est ce que j’attends des élus suisses qui me représentent au delà des partis. «Plus jamais ça» ne sont pas des paroles en l’air.

Valentina Hemmeler Maïga, Lancy (GE)