Plus des deux tiers de la population suisse ne s’intéressent pas à l’actualité politique et sociale. C’est un défi pour notre démocratie. La désaffection des médias traditionnels ne concerne plus seulement les jeunes, mais également leurs parents, révèle une récente enquête. La presse pourra-t-elle rétablir le lien avec ses publics potentiels qui sont aujourd’hui dispersés dans la vaste jungle des réseaux sociaux, vecteurs de désinformation et du chaos informationnel?
La pérennité même des médias d’information est aujourd’hui menacée par les plateformes des géants de l’internet qui captent les audiences et les revenus publicitaires. La stratégie de grands groupes de presse qui choisissent de rémunérer leurs actionnaires aux dépens du journalisme de qualité fragilise le paysage médiatique. Depuis plusieurs années, la Suisse romande est très durement touchée par les restructurations successives de Tamedia (TX Group), le premier éditeur du pays (24 Heures, Tribune de Genève), qui érodent le tissu de la presse régionale.
Les nombreux appels de soutien à la presse écrite portent presque exclusivement sur son financement et l’adaptation des conditions cadre. Les demandes concernent des aides indirectes (subvention à la distribution, achats d’abonnements et d’espaces publicitaires par les collectivités publiques), des mécanismes de financement direct (soutien à la transition numérique, financement d’enquêtes journalistiques) et l’adaptation des conditions cadre. Un «Appel pour la survie de la presse régionale» a été lancé à Genève par Le Courrier.
Ces initiatives sont essentielles mais insuffisantes face à la crise des modèles économiques et des habitudes d’accès à l’information. Sans faire de bruit, l’évaporation du lectorat de la presse d’information se poursuit inexorablement.
Le monde politique et la société civile n’ont toujours pas pris conscience que la désaffection des médias d’information ne concerne pas seulement les jeunes, mais aussi les générations qui les ont précédés. Comme le révèle l’enquête 2024 du Centre de recherche sur le public et la société (fög) de l’université de Zurich, plus des trois quarts des personnes âgées de 30 à 49 ans (77%), à l’instar des 16-29 ans (80%), sont aujourd’hui très éloignées des médias qui couvrent l’actualité régionale et nationale. En une décennie, quel que soit leur âge, la part des personnes sous-informées («indigents médiatiques») et de celles qui s’informent sur les plateformes des géants du numérique a doublé. Le pouvoir sur l’opinion des plateformes de réseaux sociaux, des services de partage de vidéos, des moteurs de recherche et des agrégateurs d’informations représente un danger pour le fonctionnement de notre démocratie, prévient la Commission fédérale des médias dans son récent rapport.
Notre société a certes besoin qu’une diversité de supports d’information produits par des journalistes pratiquant leur métier avec rigueur subsiste… mais consultés par de larges publics! Que vaudrait pour notre démocratie le journalisme d’excellence, une presse indépendante, la diversité de l’offre éditoriale, la prospérité économique des entreprises médiatiques, si seule une petite partie de la population était en mesure d’en bénéficier pleinement?
Si la qualité journalistique des médias et le crédit qu’on leur accorde sont décisifs, encore faut-il qu’une relation existe entre une large partie de la population et ceux-ci pour qu’ils puissent jouer leur rôle de quatrième pouvoir. Une grande attention est accordée au désintérêt des jeunes, quand c’est toute la population qui devrait être considérée. La réflexion sur les moyens susceptibles d’élargir le public des médias d’information de qualité est balbutiante et les projets élaborés tout à fait insuffisants en regard des enjeux.
La grande majorité des jeunes et de leurs parents sont aujourd’hui dispersés dans la vaste jungle des réseaux sociaux, loin des territoires des médias traditionnels. Il sera très difficile d’entrer en contact avec ces publics atomisés par les algorithmes, et plus encore d’établir un lien durable avec eux.
Cette problématique n’est pas à l’agenda politique. Il faut s’en préoccuper sans tarder, sérieusement, en y mettant les moyens.