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L’œuf, la poule et Trump

Carnets paysans

Cent quarante huit millions de volailles ont été abattues aux Etats-Unis en raison d’une épidémie de grippe aviaire hors de contrôle qui sévit depuis 2022. 21 millions de poules pondeuses qui ont été tuées depuis le début de l’année. Cet abattage massif entraîne une crise majeure sur le marché étasunien des œufs. De décembre à janvier, le prix moyen de la douzaine a augmenté de 15%. La chaîne de supermarchés Trader Joe’s indiquait le 11 février Associated Press avoir mis en place une limite d’achat à 12 œufs par client, tandis que Waffle House, qui sert des petits déjeuners dans tous le pays, a institué un supplément de 50 cents pour chaque œuf servi. Et la crise des œufs n’est pas près de se terminer. En janvier, le Département de l’agriculture prévoyait encore 20% de hausse pour l’année 2025.

La nomination par le nouveau président Donald Trump d’un gouvernement violemment opposé à toute approche rationnelle de la santé publique ne va certainement pas arranger les choses. Ainsi, il y a un mois, le Centre for Disease Control and Prevention (CDC) a retenu la publication de deux études relatives à la grippe aviaire sur la demande de Dorothy Fink, secrétaire d’Etat à la santé. Dans un style que n’aurait pas renié l’administration de l’ancienne Union soviétique, Fink a en effet décrété une «pause immédiate» dans la communication des agences d’Etat et ordonné que l’ensemble des publications de celles-ci soient soumises à une approbation du pouvoir exécutif. La parution des deux rapports a finalement été autorisée la semaine dernière.

Le virus H5N1 a muté en 2024, favorisant sa transmission des oiseaux aux bovins et finalement à l’homme. Les travailleuses et travailleurs au contact du bétail courent les plus grands risques de contamination. A ce jour, un peu moins de 70 personnes ont été contaminées aux Etats-Unis et une personne est décédée du virus en début d’année dans l’Etat de la Louisiane. On ne constate pas de transmission d’humain à humain. Il s’agit certes de chiffres modestes à l’échelle du pays, mais de nombreux experts alertent sur le potentiel pandémique de la grippe aviaire. Dans ce contexte, les retards dans les décisions et les entraves politiques à la communication des données scientifiques sont particulièrement dangereux.

La crise des œufs offre cependant une occasion au Parti démocrate de mettre en scène son opposition à Donald Trump. Le sénateur de New York et chef de file de l’opposition au Sénat, Charles E. Schumer, a fait de l’approvisionnement en œufs son cheval de bataille. «[Trump] a passé sa première semaine à gracier des insurgés et à renvoyer les gardiens de l’administration, au lieu de se concentrer sur les questions qui préoccupent les Américains ordinaires, comme le prix des produits alimentaires», a-t-il déclaré à la presse. Sur les réseaux sociaux, le chef de la minorité au Parlement, le député démocrate Hakeem Jeffries, a quant à lui ironisé en remarquant que, selon le programme du nouveau président, «le prix des œufs était supposé diminuer et non pas augmenter».

Le sénateur démocrate Schumer promeut une solution. Le gouvernement fédéral devrait, selon lui, distribuer 300 millions de dollars à la filière avicole pour résoudre la crise et faire revenir le prix des œufs à son niveau habituel. Les piques adressées à Donald Trump sur la crise des œufs paraissent cependant bien dérisoires. Le gouvernement de Joe Biden n’a pris aucune mesure sérieuse pour endiguer l’épidémie et c’est bien sous l’administration démocrate que le virus est passé des oiseaux aux bovins. Ce qui frappe dans la position des leaders démocrates, c’est qu’ils font une fois de plus le pari de la fuite en avant productiviste. Les 148 millions de volailles abattues en deux ans, les risques encourus par les travailleuses et travailleurs agricoles, l’accélération de la diffusion de l’épidémie: rien de tout cela ne leur semble digne d’une solution politique. Leur seule ligne d’horizon, c’est la courbe du prix de la douzaine d’œufs, aliment bon marché par excellence.

Il faut bien sûr une intervention de l’Etat fédéral étasunien face à l’épidémie, mais cette intervention doit avoir pour objectif de sortir de la dépendance à l’élevage industriel. De nombreuses alternatives végétales aux œufs existent et si 300 millions de dollars doivent être dépensés, ce devrait être pour mettre en œuvre ces alternatives et pour assurer la santé et un revenu de transition aux travailleuses et travailleurs de la filière avicole.

Frédéric Deshusses est observateur du monde agricole.

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