Un spectre a hanté le Forum économique mondial de Davos de cette année. Celui de Donald Trump et des milliardaires nouvellement convertis à sa cause. Il y a bien sûr Elon Musk, l’homme le plus riche du monde. Mais ce dernier n’est «que» la pointe fascisante d’un iceberg nauséabond valorisé à près de 1300 milliards de dollars et regroupant pas moins de cinq des dix plus grosses fortunes mondiales. 1> Le Grand Continent, 25.01.2025, tinyurl.com/yp8na2r7
Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, Bernard Arnault, Sergueï Brin… les images des milliardaires à la cérémonie d’investiture de Trump ont fait le tour du monde. Les centaines de millions de dollars qu’ils ont injectés dans la cérémonie et la campagne électorale. Les messages sur X pour féliciter le nouveau locataire de la Maison Blanche et proposer ses services. Ce spectacle affligeant et en mondovision de milliardaires se ralliant à la cause MAGA a mis en lumière le poids politique démesuré des ultrariches, et le danger qu’ils font peser sur nos démocraties et sur nos vies.
S’agissant de l’enjeu climatique, ce virage pro-Trump assumé a écorné (c’est le moins qu’on puisse dire) l’image proenvironnementale des ultrariches. Elon Musk qui, lors du premier mandat Trump, dénonçait la sortie des Etats-Unis de l’Accord de Paris? Jeff Bezos qui, il y a tout juste trois ans et à l’occasion de la COP26 à Glasgow annonçait, des trémolos dans la voix, que son voyage dans l’espace lui avait fait prendre conscience de la fragilité de la Terre? C’est de l’histoire ancienne. L’heure est au rétropédalage.
Du côté du Bezos Earth Fund, la fondation de Bezos, on s’attelle à couper les financements qui pourraient nuire aux intérêts de la nouvelle administration.2>The Guardian, 06.02.2025, tinyurl.com/5f2zdrddPour paraphraser un ex-président français porteur de bracelet électronique: Pour les ultrariches, le climat, «ça commence à bien faire».
Tous ne retournent pas leur veste. Plusieurs figures de la philanthropie climatique gardent leurs distances avec Bezos, Musk et les autres. Certains haussent même la voix et réaffirment leur engagement en faveur du climat et plus largement des causes environnementales. Le milliardaire suisse André Hoffmann a ainsi dénoncé «l’arrogance sans limites» de Musk et des autres entrepreneurs de la Silicon Valley qui croient pouvoir changer le monde à eux tout seuls.3>www.ft.com/content/fcee3acd-2122-4451-b33d-955330e4a244
Au fond, je crois qu’Hoffmann et les autres ont compris que leur acceptabilité sociale en tant qu’ultrariches était inéluctablement nouée à celle de Musk et des autres. Quels que soient leurs points de vue sur Trump ou la crise climatique, ils font partie de la même catégorie qui n’a plus la cote: celle des ultrariches.
A ce titre, ils savent qu’ils risquent aussi d’être sous le feu des critiques. L’heure est donc au contre-feu. Le problème, nous assènent les «bons» milliardaires, ce n’est pas l’argent en tant que tel ou le pouvoir qu’il procure, mais la personnalité de ceux qui les détiennent et leurs intentions.
Depuis plusieurs semaines, et dans le cadre de la sortie (très opportune) de ses mémoires, Bill Gates s’est ainsi livré à une campagne de communication tous azimuts. Les (publi)reportages et interviews «exclusifs» se succèdent à un rythme effréné dans les médias (plusieurs d’entre eux sont d’ailleurs financés par sa fondation).4>Sur Gates, voir notamment les très bons articles de Tim Schwab sur Substack: timschwab.substack.com/
A chaque fois, Gates est dépeint comme quelqu’un de simple, de responsable, de modéré, de généreux et de désintéressé. Un véritable ascète de la tech qui consacre sa vie à l’intérêt général. Gates, c’est un peu le François Hollande des ultrariches. Le milliardaire «normal», par opposition aux milliardaires «bling bling» façon Nicolas Sarkozy.
Sauf qu’à l’image des chasseurs dans le célèbre sketch des Inconnus (encore une référence française, désolé!), qu’ils soient «bons» ou «mauvais», les milliardaires restent… des milliardaires. Leurs prises de position, qu’elles soient critiques ou dithyrambiques à l’égard de Trump et de son monde, sont celles d’individus ultraprivilégiés, porteurs d’une vision particulière du monde, et qui n’ont ni vocation, ni intérêt à céder le pouvoir conféré par leurs immenses fortunes.
A l’image des fonds spéculatifs qui, après l’annonce par Trump de mesures protectionnistes, misent sur l’écroulement de l’économie étasunienne, certains «bons» milliardaires profitent du chaos ambiant pour accroître un peu plus leur influence.
C’est notamment le cas de Michael Bloomberg, richissime homme d’affaires et philanthrope, ancien maire de New York, candidat malheureux à la primaire démocrate de 2020, et figure importante du débat climatique international.
Lorsque, en réaction à la décision de Trump de supprimer les financements à la Convention des Nations Unies pour le changement climatique (CCNUCC), il annonce qu’il va dégainer son chéquier et se substituer à l’Etat fédéral étasunien, Bloomberg ne fait qu’accroître un peu plus son pouvoir d’influence sur le débat climatique dans son ensemble – tout en entretenant au passage son image du «bon» milliardaire.
Au lieu de nous interroger sur le poids croissant des intérêts privés sur la gouvernance climatique internationale, le geste (intéressé) de Bloomberg est unanimement célébré. Dans un communiqué de presse publié par Bloomberg Philanthropies, la propre fondation de Bloomberg (!), Simon Stiell, le Secrétaire exécutif de la Convention, remercie ainsi «Mike» Bloomberg pour son «leadership».5>Bloomberg Philanthropies, 23.01.2025, tinyurl.com/3sm8dzpt
Le fait qu’un richissime individu qui se substitue à un Etat ne soulève aucune interrogation de fond en dit long sur la place des milliardaires dans le débat climatique international et dans nos sociétés. Plus largement, ça en dit long sur la normalisation de la séparation trompeuse entre «bons» et «mauvais» milliardaires.
Notes