Dans sa tribune «A-t-on besoin de croissance?», parue le 29 janvier, Michal Gadomski pose la question «l’affirmation selon laquelle un capitalisme sans croissance est impossible mérite d’être discutée». Citant Stuart Mill et même John Keynes, M. Gadomski tente d’éviter le premier obstacle, et pas des moindres. Comment espérer un modèle capitaliste sans croissance, alors que près de 200 ans d’existence réelle et continue montre le contraire?
L’augmentation du PIB comme objectif des capitalistes est bien antérieure aux «Trente glorieuses». La croissance des profits par la recherche de nouveaux marchés, par la production de nouvelles marchandises est inscrite dans les gènes de l’industrialisation capitaliste à toutes ses époques.
Bien loin de répondre aux besoins effectifs des populations terrestres, la croissance vise en premier lieu, si ce n’est exclusivement, à gonfler la fortune des capitalistes, quelque que soit le niveau de richesse déjà atteint.
Comme M. Gadomski, les défenseurs du capitalisme évitent soigneusement la question de la cupidité, non seulement permise mais stimulée, et qui aboutit à des accumulations gigantesques de fortunes privées, bien loin d’assouvir un niveau de consommation ordinaire. Le capitalisme ne fixe aucune limite à la cupidité, car le moteur de l’accumulation, et par conséquent de sa croissance, n’a aucune limite. Pourquoi les membres de cette classe fuient les impôts, légalement ou pas, pourquoi ne sont-ils jamais «assez riches»? De John Rockfeller à Elon Musk, de J-P Morgan à Jeff Bezos, les exemples ne manquent pas pour montrer la volonté effrénée de s’enrichir toujours davantage, avec avidité.
Cette réalité historique, qui s’est étendue à tous les continents, montre à l’évidence l’impossibilité réelle d’envisager sérieusement une autre perspective pour le capitalisme. La collecte massive de données personnelles sur les réseaux sociaux et l’invasion persistante de la publicité illustrent encore cette volonté de proposer toujours davantage de produits de consommation par tous les moyens.
Les gains de productivité sont essentiellement accumulés par les capitalistes par l’achat de la force de travail, qui restitue complètement le résultat de la production aux possédants et actionnaires.
La répartition est toujours promise, mais seulement à moitié (les plans pour sortir 50% de la population de la pauvreté ou de la faim), en laissant tomber les 50% autres! Etrangement les écarts de richesse continuent de croître…
M. Gadomski soulève aussi indirectement cette «question épineuse de la redistribution», agitant immédiatement le dilemme «que les revenus n’augmentent plus, voire qu’ils baissent».
Or dans une économie décroissante d’inspiration ‘éco-socialiste’ telle que je la défends, le critère de distribution serait de répondre aux besoins sociaux (alimentation, habitat, santé, éducation, culture, etc) de la majorité et non pas d’assouvir les frasques d’une infime minorité de nantis. A coup sûr, cette classe mérite de voir baisser, non pas seulement son «niveau de vie», mais surtout son pouvoir de nuisance sociale et écologique.
La décroissance articulée autour d’une orientation écosocialiste n’est pas synonyme de décroissance sauvage, mais se construit autour d’une planification démocratique des besoins sociaux et des ressources naturelles, par un large débat public et une décentralisation fédéraliste.
Contrairement à M. Gadomski, je suis toujours convaincu par le projet socialiste pour nous éloigner définitivement de la barbarie.
José Sanchez, La Chaux-de-Fonds
Réponse de l’auteur
Une précision sur mon texte: il s’agissait de se demander non pas si le capitalisme produira spontanément une décroissance, s’il est juste ou si l’âme de Musk est pure (évidemment non), mais si une économie avec un secteur (donc pas dans son entièreté) capitaliste peut ne pas croître. Cette question est à mon sens pertinente dans la réflexion sur les modalités d’une transition: peut-elle préserver, fût-ce temporairement, un secteur marchand limité?
Michał Gadomski