Quelle place peut tenir l’éducation dans la transition écologique? Et quelle forme d’éducation?
L’éducation, un levier d’action? Depuis les années 1970, les pouvoirs publics nationaux, sous l’effet des organisations internationales, accordent à l’éducation un rôle dans le changement des comportements écologiques. Pourtant, des travaux en sociologie, comme La conversion écologique des français (Coulangeon et al, 2023), montrent qu’en matière de comportements, le niveau de revenu est plus déterminant que la conscience écologique. Ce sont les plus pauvres qui ont les modes de vie les plus sobres. A l’inverse, une personne ayant une conscience écologique plus développée peut, pour autant, être conduite à prendre l’avion: ce qui constitue l’action individuelle la plus polluante possible.
Alors pourquoi accorder un intérêt à l’éducation? Ne vaudrait-il pas mieux essayer d’orienter les comportements de manière inconsciente, à l’aide de nudges1>Outils issus de l’économie comportementale, conçus pour modifier les comportements individuels sous la forme d’une incitation (p. ex., une poubelle ludique en forme de panier de basket dans le but d’améliorer la propreté des espaces publics), ndlr.? Cependant, le rôle que les démocraties doivent accorder à l’éducation est en lien avec l’idée d’émancipation. Cela suppose qu’il est préférable d’augmenter le niveau de conscience des citoyens et des citoyennes que de les manipuler pour réaliser certains idéaux politiques.
Le modèle de l’éco-consommateur. Dans la littérature en éducation, le modèle de l’éco-consommateur n’est pas revendiqué comme idéal éducatif, pourtant, dans la réalité, il est très présent dans les pratiques éducatives. Plusieurs auteurs et autrices ont souligné que l’éducation au développement durable est souvent réduite à une éducation aux écogestes. Même si elle n’est pas clairement théorisée, cette forme d’éducation se trouve être en adéquation avec un modèle théorique de changement social individualiste. Celui-ci tend à considérer que les transformations sociales sont la somme des actions individuelles. Ce modèle correspond par ailleurs aux théories libérales dominantes en économie concernant les comportements des consommateur·rices.
L’un des reproches adressés à ce modèle est de ne pas prendre en compte le poids des structures sociales et des infrastructures sur les comportements individuels. L’éducation à des écogestes peut être inefficace si les conditions matérielles de réalisation des gestes ne sont pas disponibles. Par exemple, on ne peut pas demander aux gens de ne pas prendre leur voiture s’il n’y a pas une offre de transports en commun efficace en remplacement.
Le modèle éco-institutionnel. Le modèle de changement écologique qui se dégage du discours des pouvoirs publics peut être dit «éco-institutionnel». Actuellement, on assiste à un changement d’appellation de l’éducation environnemental officielle en France, l’enseignement supérieur étant passé de «l’éducation au développement durable» à «l’éducation à la transition écologique et au développement soutenable» en 2023.
Cela s’effectue dans le cadre d’un changement récent du discours public sur la transition écologique. Ainsi, on peut repérer deux termes qui incarnent la transition écologique telle que la conçoit l’Etat. Le premier est la «planification écologique». Cette modalité consiste en une série d’actions entreprises par l’Etat pour mettre en œuvre la transition écologique. Le second terme est celui de «sobriété»: il s’adresse aussi bien aux administrations, aux entreprises qu’aux particuliers. En ce qui concerne les particuliers, on retrouve sous la notion de «sobriété» l’éducation aux écogestes.
La limite que l’on peut souligner dans cette approche top-down [du haut vers le bas], c’est le rôle assez restrictif que ce modèle de changement socioécologique fait jouer aux citoyens et citoyennes.
Le modèle de l’écocitoyenneté critique. Le modèle de l’écocitoyenneté critique trouve sa source chez Paulo Freire et est repris dans l’écopédagogie. Il repose sur deux présupposés théoriques. Le premier est la nécessité d’une prise de conscience des inégalités environnementales. Le second est le rôle positif que peuvent jouer les mouvements sociaux dans la transformation socio-écologique. L’écopédagogie s’appuie donc sur une éducation populaire qui vise la conscientisation des inégalités socio environnementales. Mais, au-delà de la prise de conscience, l’écopédagogie vise aussi l’engagement dans des mouvements d’action collective.
L’écopédagogie s’inscrit donc dans la «démocratie radicale». Comme l’écrit Manuel Cervera-Marzal, «la ‘démocratie radicale’ se réfère à un ensemble de productions philosophiques dont l’ambition est d’approfondir la dimension participative et conflictuelle de la démocratie, sans perdre de vue la protection des libertés fondamentales».
Dans une telle conception, les citoyens et les citoyennes ont un rôle à jouer dans la transformation socioécologique en faisant pression sur les pouvoirs publics et les industries. Ce rôle est mis en lumière dans une récente étude2>«Quand la lutte l’emporte. Une décennie de victoires des luttes locales contre des projets imposés et polluants», Terres de Luttes, déc. 2024, https://terresdeluttes.fr/quand-la-lutte-lemporte/ de l’association Terres de luttes, qui a analysé les caractéristiques de luttes écologistes victorieuses en France entre 2014 et 2024.
Notes