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Où sont les femmes?

Huguette Junod s’interroge sur la place qu’occuperont les femmes dans la nouvelle Syrie post-Assad.
Syrie

Comme beaucoup, je me suis réjouie, le 8 décembre, de la chute de Bachar el-Assad, ce dictateur sanguinaire qui réprimait, persécutait et exterminait son propre peuple et dont les geôles étaient synonymes d’enfer. Après 53 ans de dictature (Hafez el-Assad de 1971 à 2000, son fils Bachar depuis) et treize ans de guerre civile sous un régime qui avait anéanti tout espoir, les scènes de joie faisaient plaisir à voir et on vibrait quand tombaient les têtes de ses statues omniprésentes. On tremblait quand des Syriens ouvraient les prisons, détruisaient des murs derrière lesquels croupissaient des prisonniers.

En regardant les images, j’ai constaté qu’elles ne comportaient aucune femme. Ni parmi les rebelles, ni parmi les manifestants, les prisonniers, le peuple de la rue… Brièvement, on aperçoit un enfant d’environ deux ans dans une prison, qui ne fut pas l’objet d’un commentaire. Il est probable qu’il soit le résultat d’un viol. Parce qu’il y avait bel et bien des femmes dans les prisons syriennes. Il fallait lécher «comme si nous étions des chiens» la maigre nourriture jetée, boire de l’eau des toilettes, témoignent-elles dans Slate (14 décembre 2024). Dans des cellules sans fenêtre, on ne sait pas si c’est le jour ou la nuit. Quand elles ont leurs règles, on leur refuse des serviettes hygiéniques. Dans la Syrie d’Assad, beaucoup de femmes ont été arrêtées à cause de ce qu’avait pu dire leur frère, leur mari ou un proche contre le régime. A leur sortie, certaines ont été rejetées par leur famille à cause des ennuis qu’elles pouvaient leur attirer. Presque toutes les survivantes de violences sexuelles dans les prisons syriennes interrogées par Human Rights Watch (24 juin 2013), en plus de terribles séquelles physiques, faisaient état de sentiments de profonde anxiété, de honte, de colère, de dépression et de peur.
La Syrie a été «libérée» par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham, dirigé par Ahmad al-Chareh (connu sous son nom de guerre Abou Mohammed al-Joulani), commandant djihadiste qui a fait ses armes en Irak sous la bannière d’Al-Qaïda. De retour en Syrie en 2011, au début de la guerre civile, il fonde l’un des plus importants groupes rebelles contre le régime d’Assad, le Front al-Nosra, devenu Fatah al-Cham après sa rupture avec Al-Qaïda en 2016, puis Hayat Tahrir al-Cham (HTC) à la suite de sa fusion avec d’autres groupes rebelles syriens. En 2019, HTC prend le contrôle de la région d’Idlib, dans le nord-ouest du pays, qu’il tient d’une main de fer. Al-Chareh prétend s’éloigner du djihadisme international, mais il est considéré comme «terroriste mondial» par la communauté internationale. Il promet la stabilité aux femmes et aux minorités religieuses, mais l’ONU l’accuse de crimes de guerre dans cette région…

A ma connaissance, aucun régime dirigé par des islamistes ne respecte la liberté des femmes. Par exemple en Iran, où la police de mœurs pourchasse la moindre mèche de cheveux qui dépasse de l’hidjab, parfois jusqu’à la mort, comme pour Mahsa Amini en septembre 2022.

En Afghanistan, depuis le retour des talibans, les femmes ont été privées de leurs droits civils les plus fondamentaux, notamment le droit à l’éducation, à l’emploi, à la liberté de parole et à la liberté de circulation. Les jeunes filles ont l’interdiction de fréquenter les collèges et les universités. Selon l’Unesco, 2,5 millions de jeunes Afghanes ne sont pas scolarisées (soit 80% de celles en âge de fréquenter l’école). Les femmes sont exclues des emplois publics et des ONG. On leur interdit les cours de conduite et elles ne peuvent pas se déplacer sans la présence d’un accompagnateur masculin, ni fréquenter les parcs, jardins, bains publics. Elles doivent porter la burqa. L’accès à la justice leur est très limité, le viol est couramment impuni et les demandes de divorces sont systématiquement refusées. Depuis août 2024, elles ne peuvent plus faire entendre leur voix en public, chanter ou lire à voix haute. Bref, les talibans tentent d’invisibiliser les femmes.

Au début aussi, les talibans ont promis qu’ils les respecteraient… Que valent les promesses d’Ahmad al-Chareh? Que peuvent espérer les Syriennes? Au moment où je terminais ce texte, j’ai vu au téléjournal que des femmes non voilées manifestaient dans la rue à Damas, merveille.

Huguette Junod est écrivaine, Perly (GE).