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Anti-impérialisme sélectif

Revenant sur l’opinion de R.-J. Parsons, parue dans Le Courrier du 18 avril, Joseph Daher juge que les arguments de l’auteur manquent de légitimité.
Syrie

Le but des frappes aériennes contre des cibles du régime syrien, menées le 7 avril par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France, était de servir avant tout les intérêts politiques de leurs dirigeants respectifs. Ces trois puissances ne se soucient guère des civils syriens; leurs interventions militaires et leur soutien aux dictatures du Moyen-Orient témoignent du peu de considération accordée aux droits humains.

Cela dit, les raisons invoquées par Robert James Parsons pour développer une position anti-intervention manquent de crédibilité et de légitimité sur plusieurs points. D’abord, l’argument de la supériorité militaire du régime syrien, évoqué pour réfuter l’utilisation d’armes chimiques, est bien surprenant: Israël est supérieur militairement aux Palestiniens, mais cela ne l’empêche pas d’utiliser du phosphore blanc. Et que dire des Etats-Unis, qui ont confirmé avoir tiré des obus au phosphore blanc dans des zones habitées contrôlées par l’organisation Etat islamique (EI) à Mossoul, en Irak, et vraisemblablement à Raqqa, en Syrie? L’objectif principal de l’utilisation d’armes chimiques est de semer la terreur parmi les populations locales, en Syrie et ailleurs. Et, quoi qu’en dise M. Parsons, l’attaque aux armes chimiques de Douma, le 7 avril, a réussi son objectif: le lendemain, la milice fondamentaliste islamique Jaysh al-Islam a conclu un accord avec le régime de Damas pour quitter la ville, alors que Jaysh al-Islam refusait toute reddition auparavant.

On remarquera par ailleurs que les experts de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) n’ont pu entrer dans Douma pour enquêter que le 21 avril, soit deux semaines après les attaques présumées, à cause des restrictions imposées par les autorités syriennes et russes, tandis que plusieurs médecins ont affirmé avoir subi des pressions de la part du régime syrien, qui les auraient menacés de représailles en cas de révélations à la presse et les auraient forcés à se débarrasser de tous les échantillons prélevés1>«L’OIAC à Douma: un pari perdu d’avance?», L’Orient Le Jour du 17 avril 2018..

Certes, les échanges verbaux musclés se sont accrus entre la Russie et les Etats-Unis, mais nous sommes loin d’une confrontation de grande envergure – le 20 avril, Donald Trump a d’ailleurs invité Vladimir Poutine à la Maison Blanche. Les frappes aériennes occidentales en Syrie ne s’inscrivent pas dans une optique d’occupation à long terme du pays. Elles n’ont fait aucune victime et la plupart des installations visées avaient été évacuées quelques jours avant l’attaque grâce aux avertissements de la Russie. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France ont déclaré que ces frappes ne visaient pas à paralyser les défenses du régime syrien ni à provoquer un «changement de régime», mais à dissuader Bachar al-Assad d’utiliser des armes chimiques (tout en lui permettant de continuer à massacrer des civils avec des «armes conventionnelles»). Et, côté russe, le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré que les Etats-Unis n’avaient pas transgressé les «lignes rouges» indiquées à Washington avant l’exécution des frappes contre les cibles syriennes.

De même, il paraît grotesque de faire passer des organisations civiles médicales comme des organisations fondamentalistes. Les Casques blancs reçoivent des soutiens extérieurs qui peuvent être critiqués – à l’instar de tout système de financement des ONG à travers le monde – pour financer leurs matériels, mais cela n’en fait pas pour autant des fondamentalistes.

L’illégalité, du point de vue du droit international, de la présence des forces étasuniennes en Syrie pour combattre l’EI (et non le régime syrien) est une réalité. Mais la légalité de la présence des troupes russes (ou iraniennes) – invitées par le régime Assad – ne les rend pas plus légitimes. Car si nous acceptons cette logique, il faudrait dès lors considérer comme légale l’intervention des forces armées d’Arabie saoudite et du Conseil de coopération du Golfe au Bahreïn pour mater la révolte populaire, puisqu’elle a été menée sur l’invitation du régime de Manama.

L’anti-impérialisme sélectif n’est pas de l’anti-impérialisme, surtout quand il est utilisé pour développer un discours qui nie les crimes d’une dictature.

Notes[+]

* Universitaire et membre de solidaritéS, auteur d’une thèse sur les origines et développements de la révolution et contre-révolution en Syrie (soutenance publique à l’université de Lausanne vendredi 4 mai à 9 h).

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